Archives 2016
C’est de tout près que le photographe américain Steve Schapiro a pu faire l’expérience de la profondeur créatrice de Bowie. En 1975, il a mené une séance photo marathon de plus de douze heures avec le chanteur. Au cours de cette séance, Bowie a enfilé des tenues différentes, dessiné des œuvres d’art sur les murs, le sol et ses vêtements. Il a établi avec Shapiro une entente qui est tout simplement impossible lorsque le photographe ne dispose que de quelques instants fugaces pour réaliser un portrait.
Schapiro raconte que c’était « extraordinaire » de travailler avec quelqu’un d’aussi créatif et spontané que Bowie. Quand Michael Lippman, le manager de l’artiste, lui a téléphoné pour lui demander s’il voulait faire la séance photo, « j’ai dit oui avant même que Michael n’ait terminé sa question », dit-il en riant.
Un calme absolu, une intelligence presque excessive
« Je ne savais vraiment pas à quoi m’attendre, même si je connaissais bien Ziggy Stardust et tous les costumes flamboyants que David avait endossés en début de carrière. Quand David est arrivé, je l’ai trouvé d’un calme absolu, d’une intelligence presque excessive, et assez silencieux. C’était une surprise. Il a immédiatement emprunté une chemise à un de mes assistants et il est allé au vestiaire. Nous ne savions pas à quoi nous attendre, nous ne savions pas ce qu’il allait bien pouvoir inventer, quel genre de costumes il porterait ou quel rôle il allait jouer. »
Quand Bowie est sorti du vestiaire, il avait intégré la chemise empruntée à sa tenue. Il avait peint des rayures blanches sur ses vêtements et peint ses orteils en blanc également. Schapiro raconte que Bowie s’est mis à tracer de grands cercles sur le rouleau de papier du fond. Son esquisse représentait l’arbre de vie de la Kabbale. « Quand il est sorti du vestiaire dans cette tenue et s’est mis à dessiner, ça a été un moment chargé de spiritualité. De toute évidence, la spiritualité tenait une place importante dans son esprit ce jour-là. »
Un air de Buster Keaton
Schapiro dit que la séance photo avec Bowie lui a évoqué Buster Keaton, dont le star dit qu’il l’a influencé. « Souvent, quand je photographie des acteurs tels qu’ils sont, et non pas dans la peau d’un personnage, ils sont désorientés et ne savent pas quelle image projeter ; je suis obligé de leur suggérer ce qui va marcher le mieux pour eux. Mais David avait très bien compris l’orientation de cette séance et il voulait explorer les personnages successifs qu’il incarnerait. En ce sens, il m’a rappelé Buster Keaton et j’ai toujours aimé travailler avec Buster. »
La relation de Schapiro avec Bowie s’est poursuivie dans les années 1980 et un certain nombre de ses photos ont fait la couverture d’albums. En 1987, le photographe et sa famille allaient partir en vacances en Europe, quand il reçut un appel de Bowie lui demandant de l’accompagner en tournée. « J’étais honoré qu’il me l’ait demandé, mais j’ai dû lui dire non. Nous n’avions pas pris de vacances depuis longtemps. »
Bien que Schapiro n’ait pas retravaillé avec Bowie, il est évident que la séance photo de 1975 a fait une forte impression sur les deux hommes. « Le fait que dans sa dernière vidéo, Lazarus, Bowie ait remis la tenue qu’il avait créée dans mon studio, la tenue qu’il avait peinte et n’avait portée que ce jour-là, ça a été un moment plein d’émotion pour moi », ajoute le photographe en conclusion.
Alison Stieven-Taylor
Bowie
Photographies de Steve Schapiro
PowerHouse Books