Satoshi Saïkusa est décédé. La Galerie Da-End a publié le texte ci-dessous par Viet Thanh Nguyen. Il y a quelque temps, nous avions publié le documentaire de la série « Portrait de photographe » par Philippe Abergel que vous pouvez voir ou revoir aujourd’hui.
Satoshi Saïkusa est né en 1959 sur l’île de Kyûshû (Japon) et décédé en septembre 2021 (Japon). Il a vécu et travaillé à Paris depuis le milieu des années 1980. Apprécié pour ses compositions méticuleusement travaillées et mises en lumière, Satoshi Saïkusa règle chaque prise de vue dans le moindre détail à la manière du metteur en scène cherchant l’instant parfait. Depuis une dizaine d’années, l’artiste se consacre à divers projets dans lesquels la nuit, la mémoire et la fragilité de l’existence reviennent de manière récurrente, nous éclairant sur ses propres préoccupations. A travers ses natures mortes, portraits d’artistes ou de yakusas, ou même ses nus, le concept bouddhiste d’impermanence de l’être semble engager un dialogue incessant avec celui de memento‐mori.
« La photographie est un art à la fois de vie et de mort. Ce que la photographie capture c’est la vie à un moment donné, mais ce qu’elle implique toujours c’est la mort de son sujet. Si la personne figurant sur la photo n’est pas décédée, il ou elle le sera éventuellement un jour. La mort en tant que fait, ou son irrémédiabilité, participe en partie au pouvoir magnétique de la photographie. Une photographie marquante ne nous hante pas seulement grâce à sa composition, sa lumière, ou son contenu, mais aussi à cause cette tension entre la mortalité de ce qui a été capturé dans l’image – une personne, une fleur – et l’immortalité de cette image. (…) Dans ses œuvres, Saïkusa traduit cette tension entre vie et mort, beauté et décadence, artifice et réalité. La nature morte (en français), ou still life (en anglais), est un de ses domaines de prédilection. La différence d’appellation donnée au genre dans les deux langues souligne combien la vie et la mort sont impliquées dans la représentation d’un sujet ou un objet, beau ou mémorable.
D’une part, nous avons le thème des fleurs et des pétales, qui incarne évidemment la beauté évanescente qui meurt sous nos yeux dans nos vases et sur nos tables. Les papillons qui sont épinglés ici et là dans nombre des œuvres de Saïkusa évoquent également cette évanescence. Il y a d’abord l’émergence de la chenille disgracieuse, une vie brève de beauté, puis la mort – à moins que le papillon ne soit préservé par l’entomologiste ou l’artiste et épinglé dans sa boîte, devenant une œuvre d’art miniature. D’autre part, nous avons le thème du crâne humain, obstiné et durable. Le crâne et les os sont les derniers vestiges que nous laissons derrière nous. Le crâne est le point commun de nos existences, derrière l’artifice inégal de nos corps et de nos apparences. Le crâne suggère l’indispensable humilité, parce que nos vanités mondaines seront toutes réduites à cela. Mais puisque même le crâne devient un sujet pour l’art, surtout quand il est poli et lustré, alors la mort aussi peut devenir un art. Et, réduits à nos crânes, nous sommes tous beaux, morbides et anonymes, les uns autant que les autres. »
Par Viet Thanh Nguyen
Courtesy Galerie Da-End
Satoshi Saïkusa par Philippe Abergel
Après les documentaires consacrées à George Tourdjman et Frank Horvat, la série « Portrait de photographe » de Philippe Abergel revient. Ce troisième opus est consacré au photographe japonais Satoshi Saïkusa.
Né au Japon en 1959, Satoshi Saïkusa s’installe à Paris en 1984 Son travail photographique est multiple, indissociable de son versant plastique comme de son approche dans l’industrie de la mode. Autodidacte, il se forme au grès des commandes pour Vogue, GQ, Harper’s Bazaar. Son œuvre a trait à différentes thématiques — la nuit, la fragilité, l’érotisme — et se distingue par des compositions arborées, délicates, donnant à voir, dans son ensemble, une réflexion continue sur des notions métaphysiques comme littéraires, voire spirituelles.
L’œuvre de Satoshi Saïkusa est multiple, sa pratique saute d’un genre à l’autre et se redéfinit série après série, image après image. Toutefois, les nus comme les natures mortes révèlent un même soin de la composition, qui inscrivent son œuvre dans une tradition pictorialiste, saturée de référence. Ses œuvres actuellement montrées au Chateau du Riveau, dans l’exposition collective La pomme, motif éternel, en atteste, l’artiste entremêlant une réflexion sur le pêchée non dénuée d’une sensualité finement ciselée.
Sur Philippe Abergel
« Photographe free-lance à Paris depuis 35 ans, je réalise des travaux de commande pour les grands magazines ainsi que des campagnes de publicité en France et à l’étranger. Je collabore depuis une dizaine d’années avec de nombreuses maisons d’édition, j’ai à mon actif aujourd’hui 13 beaux-livres sur le patrimoine et les métiers d’art (L’Elysée, le Quai d’Orsay, Le Palais Farnese, le Palais Thott…). Mon travail d’enseignent en photographie à l’École EFET Paris XII et mes interventions à l’École des Gobelins m’ont amené à réfléchir à la problématique de transmission.
Le projet de cette série de documentaires intitulée Portrait de Photographe est né de cette envie de transmettre aux jeunes générations, et aux amateurs de photographie, ce qu’est la vie d’un grand photographe et d’avoir durant 26’ son analyse sur son métier, sur ses photos et sur le langage photographique.
Des photographes filmés et interviewés par un photographe voilà qui m’intéressait et comme disait Georges Tourdjman : « J’aime les photographes, et j’aime les photographes qui vivent la photographie ». « Ce n’est pas facile de faire une bonne photo, mais quand on y arrive, alors… »
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« Portrait de photographe : Satoshi Saïkusa »par Philippe Abergel
Montage : Philippe Abergel
Assistante à la réalisation : Tim Grenard
Coordination : Nathalie Benchetrit
Production : Caméra16
Paris, 2015.