Le photographe Roger Kasparian est décédé le 15 février dernier. Sa fille Lydia nous a envoyé ces images et ce texte.
Roger Kasparian est connu pour avoir photographié avec talent les plus grands chanteurs et acteurs des années 60.
Roger Kasparian se disait photographe de naissance. Il fait partie de cette génération qui a appris le métier sur le tas très jeune.
Roger est le fils de Varastade Kasparian, un rescapé du génocide Arménien de 1915. Varastade est arrivé en France en 1924 avec 100 autres orphelins arméniens recueillis et élevés dans un château du Loir et Cher grâce au financement des Karagheusian, une famille d’Arméniens de New York. A 16 ans, Varastade a choisi le métier de photographe et, après plusieurs mois d’apprentissage chez un photographe des environs de Blois, il « monte » à Paris pour travailler comme opérateur au célèbre studio Harcourt. Il épouse Hasmig, également survivante du génocide. Père de deux enfants, il décide de se mettre à son compte en ouvrant son premier Studio de Photos dans un garage au fond d’une cour à Montreuil-sous-Bois. C’est le début de l’aventure familiale des Kasparian photographes. Roger, encore enfant, commence à apprendre le métier en aidant son père.
En 1947, Varastade fait construire un pavillon dont le rez-de-chaussée sera dédié à la boutique et au laboratoire de photos du futur Studio Boissière. La famille Kasparian habitera au premier étage. La vie de famille était ainsi intimement liée à l’activité professionnelle. Roger, son frère Jacques, et bien plus tard leurs enfants aussi y apprendront le métier de photographe ainsi que le goût du travail bien fait, naturellement, progressivement, à l’ancienne. Dans ce Studio de photos familial, c’est dès leur plus jeune âge que circulaient les enfants de la famille, humant les effluves des bains de révélateur, se glissant dans les jupes d’un adulte pour rendre la monnaie, ramassant les restes de fleurs après les photos d’un mariage dans la grande salle de pose, s’infiltrant dans la pénombre mystérieuse du laboratoire… et petit à petit, assurant un remplacement de dernière minute derrière l’objectif sacré. Ce n’est pas pour rien que tous les Kasparian qui ont vécu dans ce pavillon-boutique-labo se disent plus ou moins photographes.
Dans les années 60, de retour de son service militaire en Algérie, Roger rencontre par hasard un journaliste d’origine arménienne qui l’entraine dans les nuits parisiennes à la recherche des futures stars de la chanson. Roger alors âgé de 22 ans, cherche son indépendance. Il met les pieds dans le milieu du show business où il commence à photographier à la fois les grandes vedettes de l’époque: Edith Piaf, Joséphine Baker… mais aussi les jeunes stars montantes de la génération yéyé comme Johnny Hallyday, Sylvie Vartan, Françoise Hardy, Sheila, Claude François, Jacques Dutronc, et Gainsbourg, Aznavour, Brel… Ils sont tous jeunes (et beaux), le photographe Kasparian n’a que quelques années de plus que ces artistes en herbe et la proximité et complicité sont donc immédiates. Ainsi Kasparian partagera les aventures des débuts de grands artistes de renommée mondiale français mais aussi américains et anglo-saxons comme les Beatles, les Who, les Rolling Stones, Armstrong, Nina Simone, Ray Charles… Ce sera pour lui l’occasion de réaliser des clichés d’exception par leur spontanéité mais également par la qualité de prise de vue d’un photographe déjà accompli.
Roger fera aussi de très beaux reportages lors du Festival de Cannes dans le début des années 60 et, toujours très discret mais présent partout, il photographiera les grands noms du cinéma : Delon, Belmondo, Sofia Loren, Catherine Deneuve, Romy Schneider,… pour n’en citer que quelques-uns.
Ce qui distinguait Roger, c’est son indépendance et sa simplicité. Il a toujours été pigiste, refusant les propositions de travailler avec tel journal ou pour tel chanteur en particulier. C’était quelqu’un de très libre, posé, avec un sens aigu de l’humour. Mais il était aussi d’une ténacité hors du commun, un travailleur acharné. Kasparian, a su capter avec talent la vie et la jeunesse de la période mythique des années 60. Mais aussi, on trouve dans les détails de l’arrière-plan de ses images le témoignage de toute une époque. Enfin, chaque photo illustre une histoire que Roger se faisait un véritable plaisir de raconter.
Début des années 60, Roger rencontre sa femme Dany sur un plateau de cinéma, ils travaillent ensemble, lui, prenant des clichés toujours uniques, et Dany écrivant les textes pour les vendre dans les rédactions des journaux de l’époque.
A l’arrivée de leur première fille Lydia, commence une vie de famille difficilement compatible avec le rythme effréné des nuits parisiennes. Et puis, la belle insouciance des années 60 disparaissait. Tout devenait plus compliqué. Il n’était plus question, comme l’avait maintes fois fait Roger, de pouvoir rentrer facilement dans les aéroports pour y attendre les chanteurs débarquer pour un concert en France et ainsi cueillir des clichés exceptionnels des Rolling Stones assis tous seuls sur un banc, de Ray Charles débarquant en famille, des Beatles sur le tarmac… Pareillement Roger avait pu photographier Gainsbourg, Sylvie Vartan, Johnny Hallyday, Aznavour etc… dans leur intimité, chez eux, en toute simplicité. Parfois même, Roger emmenait ces artistes pour une séance photo à Montreuil dans le Studio familial!
Dans les années 70, Kasparian change de cap. Ayant obtenu l’agrément en architecture, il se lance dans cette nouvelle activité et met en veilleuse son métier de photographe.
Ce n’est qu’à partir de 2013 que ses photos inédites, archives inestimables et trésor enfoui, ont été sorties des cartons par un collectionneur afin de faire l’objet de nombreuses expositions (Paris, Londres, Kuala Lumpur, Montevideo, Valence, Lille, Arles, Théoule-sur-Mer etc… ), de livres et de films. Alors Roger, entre deux expositions, a repris le chemin du reportage en consacrant son temps à photographier tous les évènements liés à la communauté arménienne en France mais aussi dans plusieurs pays du monde (Arménie, Grande Bretagne, Uruguay, Malaisie, Singapour, Brésil, Inde,…). Car Roger, épris de liberté, était avant tout un homme de terrain.
En 2023 et 2024, à 85 ans, Roger Kasparian a exposé ses photos avec joie et pour le plus grand bonheur des visiteurs avec lesquels il aimait partager ses souvenirs, à la Mairie du 9ème arrondissement de Paris, Mairie du 5ème, au siège de la Région des Hauts de France, à Théoule-sur-Mer…
Et c’est le 15 février 2024, lors d’un dernier reportage en Géorgie, avec son petit fils Norvan et sa fille Lydia, que Roger Kasparian s’est éteint dans son sommeil, l’appareil photo, son inséparable compagnon, à ses côtés.
Lydia Kasparian