Les carrières débutent parfois sur une plage.
C’est sur celle du Suquet à Cannes que j’ai rencontré Patrick Demarchelier.
C’était pendant les vacances scolaires dans les années 60. Il devait avoir 16-17 ans, moi 15-16. Il ne s’intéressait pas vraiment à moi mais à mon père qui cet été là, donnait une suite de conférences sur la photographie au Palais du Festival de Cannes. Patrick n’en ratait pas une et le harcelait de questions : »Monsieur comment fait-on ci, comment fait-on ça ? »
Si bien qu’agacé mon père me dit un jour : « Ton petit copain est bien gentil mais il commence à me casser les pieds avec toutes ses questions ! » Ce fut donc une brève rencontre.
Mais quelques années plus tard, nous nous sommes retrouvés sur les Champs Elysées moi débutant à ELLE Club au 127, lui tout à côté à Publicis où il mettait à l’épreuve sa vocation sur les tirages photographiques du labo de la célèbre agence de pub. Fin de la séquence. Mais Patrick ne lâchait rien. C’est ainsi que je le vis réapparaître au Service Photos de ELLE là où j avais enfin trouvé ma place dans le groupe de presse mythique des Lazareff.
Grand, séduisant dans son trench style grand reporter, les cheveux noirs en bataille avec désinvolture il me présentait de superbes tirages noir et blanc. Des portraits de femmes africaines avec -cela m’avait frappée- un os dans le nez ! » C’est magnifique mais que veux tu que je fasse de ça Patrick ? Ce n est pas pour nous. » Et hop il repartait ses photos sous le bras sans être pour autant découragé.
M’étant faite remarquée par Hélène Lazareff, fondatrice de ELLE, je montais au 5ème du 100 rue Réaumur, étage noble du journal pour devenir journaliste au Service Beauté. Pour mes reportages, j’avais des idées mais pas de photographe.
Peter Knapp alors Directeur Artistique du journal était plus préoccupé par les pages mode de ELLE que par celles de la Beauté.
« Je n’ai pas de photographe à te donner, trouves en un. » Qu’à cela ne tienne, j’appelle Patrick. Notre duo dura des mois, des années.
Nous étions très actifs. Au commencement, toutes les jeunes débutantes des agences de mannequins défilaient devant l’ objectif de Patrick. Comme ce qu’on appelait les frais techniques n’étaient pas remboursés par le journal, Patrick pas encore célèbre , un peu fauché, économisait les « pelloches » d’Ektachrome 24×36. Avec son Nikon , équipé d’un 50 mm, il shootait moins de 10 vues par fille et me disait : « Cest bon, on l’a ! » Et on l’avait. La débutante se retrouvait ensuite pleine page dans ELLE et mieux encore en cover ! Ça cartonnait. Il avait un don exceptionnel pour capter la beauté, jouer avec la lumière et communiquer avec son sujet qu’il soit anonyme ou célèbre comme Dominique Sanda, Jackie Bisset stars de ces années 70. Mais c’était inevitable, un jour il me dit : »Mon book est assez solide, je tente l’aventure américaine. » Mais Patrick tu ne parles même pas anglais. » Qu ‘importe, il savait qu’avec son frenchy look et son book il allait réussir et moi aussi.
Au revoir Patrick. Je garde un bel album de souvenirs avec toi et aussi cet objectif, ce 50mm que tu m’avais offert avant ton départ pour l’Amérique, celui avec lequel tu as fixé tant de beauté, celui de notre amitié.
Ton talent restera à jamais sur papier glacé pour l’éternité.
Caroline Van de Velde
Ex Rédactrice en Chef Beauté de ELLE
Ex Rédactrice en Chef de ELLE TopModel