Il est assez tard ce jeudi soir à New York. Il y a quelques heures, nous apprenions que Patrick Demarchelier est décédé. Le numéro d’aujourd’hui était prêt mais nous avons décidé de le reporter à lundi, retour à la planche à dessin, pour Patrick.
La nouvelle a été annoncée sur Instagram, avec un message disant : ”C’est avec une grande tristesse que nous annonçons le décès de Patrick Demarchelier… à l’âge de 78 ans. Il laisse dans le deuil son épouse Mia, ses trois fils Gustaf, Arthur, Victor et trois petits-enfants.”
Jean-Jacques Naudet m’a demandé d’écrire quelques lignes. Je n’en étais pas sûr… Bien sûr, je connaissais Patrick, un peu, beaucoup d’autres seraient plus appropriés pour partager leurs souvenirs.
J’ai rencontré Patrick pour la première fois à Paris en 1988, il revenait du Festival de Cannes en commande pour Paris Match, où il avait très peu photographié… Roger Thérond lui a demandé de shooter quelque chose, n’importe quoi, avant de repartir pour New York. Ford Models ouvrait à Paris, et on m’a demandé d’assister Patrick. J’y suis donc allé avec mon assistant en lui prêtant mes appareils photo puisqu’il voyageait léger. Shooting rapide à la piscine du Ritz avec Eileen et Katie Ford et une ribambelle de mannequins. La série n’a jamais été publiée.
Mais, en y réfléchissant bien, ce n’est pas à ce moment-là que j’ai vraiment rencontré Patrick. En fait, c’était dans les pages de PHOTO, le numéro Spécial New York d’avril 1982, j’avais 18 ans.
Sur la couverture, Christie Brinkley photographiée par lui, le sujet d’ouverture portait sur sa réussite à New York, gagnant un million de dollars par an. Vous pouvez voir la couverture et les pages « photographiées » avec mon iPhone, car je dois avouer que j’ai emporté ce numéro à travers les pays, les continents pendant exactement quarante ans, d’avril à avril.
Étrange n’est-ce pas?
Même si je me sentais plus proche du sujet sur Pierre Houlès… La couverture et le portfolio de Patrick volaient la vedette.
Je me rends compte maintenant que si un livre, un film ou une chanson peuvent vous définir, les pages d’un magazine peuvent déterminer votre vie. Je vis maintenant à New York depuis des décennies.
J’ai croisé la route de Patrick plusieurs fois, le Carnegie Hall, son studio à Chelsea, Cipriani downtown… La dernière fois c’était à la Staley Wise Gallery où il avait une exposition. Il m’a demandé ce que j’en pensais, je lui ai dit que qu’il s’améliorait avec l’âge. Il a souri.
Je me trompe peut-être, mais je pense que c’est Alexey Brodovitch qui a dit que la plupart des photographes n’ont que 10 ans de créativité en eux. Et bien, Patrick comme un vin français Grand Cru ne cessait de s’améliorer avec l’âge. Son meilleur travail est venu plus tard, il n’était pas un feu de paille.
Bien sûr, les allégations de 2018 et la rupture avec Conde Nast doivent être mentionnées, mais je vais en rester là, ce n’est ni le moment ni le lieu. Et ceux qui l’ont connu savent où ils en sont.
Vous pardonnerez mes divagations, que l’on mettra sur le compte de « quelques » Martinis, mais j’écris surtout ces lignes à cause du lien le plus étroit que j’avais avec Patrick, son frère et mon ami Gérald Dearing qui s’il était encore avec nous, m’aurait ligoté à une chaise jusqu’à ce que j’écrive (j’aurais aimé qu’il corrige ces élucubrations…)
J’aime penser qu’ils sont ensemble maintenant.
Je suis à peu près sûr que Patrick séduit toujours avec son accent français, « à couper au couteau ».
Il est encore plus tard dans la nuit de New York, l’Empire State building illuminé en Noir&Blanc, et Paris s’éveille ou s’endort, selon.
C’est drôle comme quelques pages dans un magazine signifient encore autant après 40 ans. Avril 1982 à avril 2022… « La boucle est bouclée » comme disent les “Frenchies”.
Au revoir Patrick… et bonjour à Gérald.
GSD