Décès d’un picture-editor de légende
James A. Fox dit Jimmy, est décédé samedi 18 juin 2022, la date n’aurait pas déplu à cet admirateur du Général de Gaulle. Très british, Jimmy Fox a été une des grandes figures du photojournalisme du siècle dernier. Homme de l’ombre d’une agence lumineuse. Il avait 87 ans. La cérémonie a eu lieu le mercredi 29 juin 2022 à 16 heures au Père-Lachaise à Paris.
« Quand la vie ne tient qu’à un fil, c’est fou le prix du fil ! » Daniel Pennac, citation favorite de Christian Simonpietri [1]
James A. Fox dit Jimmy Fox, né le 3 juillet 1935 à Ypres en Belgique, de nationalité britannique fut un photojournaliste toute sa vie. Photographe du dimanche, picture-editor le reste de la semaine, nuits comprises.
Dans les années 70 et suivantes, il fut une « figure » pour les jeunes reporters photographes issus de mai 68. On savait son éthique et sa passion pour la photographie. Il était le picture-editor en chef de l’agence Magnum Photo. Le temple du photojournalisme. Il était le rédacteur en chef au bureau de Paris alors en mauvaise grâce avec le bureau de New York. Un incontournable homme de ce métier. L’homme de l’ombre, d’une agence, encore lumineuse des auras de Capa et de Cartier-Bresson.
« Je suis un ancien élève des années 30 du Eton Memorial School à Ypres en Belgique. C’est une école construite à la mémoire des 342 élèves de Eton College mort en « 14/18 » dans les batailles autour de Ypres. Je viens d’écrire un livre sur le Eton Memorial School sous le titre The Children who Fought Hitler. Avec mes parents nous avons été les victimes de l’évacuation d’Ypres en mai 1940. Beaucoup d’enfants ont été faits prisonniers, ont été détenus pendant la guerre et d’autres se sont engagés dans la Résistance anglaise en France, et en Belgique.[2] » m’a écrit Jimmy Fox dans les années 2010 à 2013 durant lesquelles nous avons échangé de nombreux courriers.
Et puis, il y avait à son propos, une légende qui devint pour moi, réalité quand il publia son livre BOXE [3]. Dans les agences photo de l’époque, le « chef des infos », qu’on appellera plus tard, le rédacteur en chef ne photographiait pas, même s’il avait été photographe, avant de s’asseoir derrière un bureau. Impossible de couvrir un événement et de se mettre en concurrence avec le staff de l’agence. Jimmy Fox, avait trouvé une élégante parade. Ce qu’Henri Cartier-Bresson a appelé une « entreprise longue en dehors des heures de bureau ». Un sujet, pas loin, pas cher, réalisable le week-end, une élégante solution quand on est salarié d’une agence photo et qu’on ne veut pas d’histoire avec les photographes. Cette belle passion a abouti à un livre culte. Je l’admirais pour cela en particulier.
Avant Magnum, Sygma
Mais avant Sygma et Magnum, Jimmy Fox a fait ses classes au service photo de la Direction de l’information de l’OTAN de 1958 à 1965, en pleine guerre froide. Dans un courrier du 1er janvier 1966, Marc A. Nicoles, Directeur du service photo de la Direction de l’information de l’OTAN écrit : « Son poste le mettait en contact étroit avec les agences de presse et les journaux des pays européens et américains. Il va sans dire que l’expérience qu’il a acquise dans le domaine du journalisme représente aujourd’hui des qualités indéniables qui devraient intéresser agences et journaux sans parler de sa personnalité qui permis de maintenir entre l’OTAN et la presse les meilleures relations.[4] »
Le photographe américain Russel Melcher, fondateur des agences Omicron, Telephoto, et de VIP Press, qui sera rédacteur en chef de Magnum Paris, l’a connu lorsqu’il « travaillait au bureau de l’OTAN à Paris. Une personne très douce, très agréable pour qui j’ai cherché du boulot » précise Russ dans son franco-américain très particulier. « Je l’ai placé à L’Express bien que Jean-Jacques Servan-Schreiber ne soit pas bon pour la photo. Il a travaillé à Magnum NY et lorsque j’ai fini mes sept ans et demi à Magnum Paris, je l’ai fait engager. Travailler à Magnum c’est difficile, il y a trop de patrons là-dedans ! Ces gens-là vous expliquent ce qu’il faut faire. Chacun d’entre eux est un bon photographe mais pas un bon directeur d’agence… J’étais photographe, et Jimmy les connaissait, donc il savait qu’il faut leurs parler intelligemment… Ils n’aiment pas être critiqués mais ils ont besoin de savoir ce que veulent les clients. »
« C’est triste. Il a participé aux débuts de Sygma, rue Réaumur… « se souvient Monique Kouznetzoff, fondatrice des agences Sygma et H&K « Il était d’une grande gentillesse mais a travaillé peu de temps avec nous… Les débuts de Sygma, rue Réaumur puis rue des Vignes… Mais notre rythme de l’époque n’était pas le sien. Magnum, plus lent, était bien pour lui. »
« Je partageais le bureau avec Monique Kouznetzoff » se souvient Jimmy Fox dans un courrier de 2013. « La réception de Sygma me présenta un photographe du Brésil, Sebastiao Salgado. Je l’accepte à Sygma et il va faire les manifestations au Portugal et la Révolution des oeillets. Nous étions rue des Vignes dans le 16ème à Paris. Pour moi cette époque c’est aussi le très triste souvenir du suicide d’Alain Dejean, un garçon d’une grande politesse un peu playboy avec sa Porsche. A ce moment-là, je commençais mon travail sur la BOXE et Alain me prêta des objectifs. Aux archives, il y avait Josette Chardan de Gamma puis de Sygma et Marie-Pierre Farkas. Rue des Vignes il y avait aussi Xavier Périssé, un autre garçon comme rédacteur. » Marie-Pierre Farkas, arrivée à Sygma le 2 avril 1974 pour la mort de Georges Pompidou dit de Jimmy : « Il avait une vision esthétique de la photographie loin de la conception du bizness d’Henrotte. C’était une merveilleuse époque aux archives il y avait Antoine de Caunes… Autant te dire que c’était rock and roll Sygma. »
« Avec cinq photographes de Sygma, » se souvient Jimmy Fox « je suis allé avec Monique Kouznetzoff à Londres pour le mariage de la Princesse Anne à Westminster Abbey. Chaque photographe était dans un lieu différent. Avec le coursier à moto, j’ai eu la mission de faire le tour de chaque position où se trouvait un photographe de Sygma. Puis je suis retourné au laboratoire à Londres pour faire les développements. Finalement Monique et moi avons fait l’editing dans l’avion du retour de Londres à Paris. Un coursier nous attendait à l’aéroport pour livrer les diapos. Une journée et une nuit de course contre la montre… ».
« Jimmy Fox ! Je l’ai connu à Sygma, rue des Vignes, ou peut-être rue Réaumur dans les locaux d’APIS. J’y suis arrivé en septembre 1973 » se souvient Xavier Périssé qui fut « chef des infos »
(1973 – 1983) à Sygma, alors, la toute jeune agence. « Il s’occupait du magazine. Il n’a pas trouvé sa place à Sygma. A l’époque il fallait couvrir l’actualité, servir les clients et rentrer le pognon le plus vite possible. Ce n’était pas son rythme. Il ne correspondait pas à l’esprit maison. Il a eu bien raison de foncer dans Magnum. C’était un érudit de photographie. Il passait ses week-ends à photographier les jeunes boxeurs bien galbés. A Sygma, il fallait sans cesse se dépêcher de produire. Donc lui, et son amour de la belle photographie, le beau noir & blanc… il était un peu paumé dans cette ruche… »
« Lorsque SYGMA a été créé en 1973 » m’a écrit Jimmy Fox « j’ai été invité à être rédacteur en chef du département magazine/dossiers et j’y suis resté quelques années. Je ne suis retourné à Magnum qu’en 1976, mais pendant cette période, j’avais déjà commencé à travailler sur le monde de la boxe. Le laboratoire de Sygma a fait une partie du traitement de mon travail et, en échange, je leur ai permis de distribuer quelques images mais j’ai gardé mes négatifs et mes contacts. Corbis, qui possède maintenant les archives Sygma, m’a contacté parce qu’ils étaient en train d’archiver numériquement leurs 25 millions de tirages et voulaient des autorisations écrites …/… Mais en fait, après des années, je n’ai jamais reçu de revenus. »
« Curieusement, j’étais un jour à une vente aux enchères à l’hôtel Drouot d’objets sportifs, de statues, d’affiches, de livres, et il y avait aussi des tirages. La vendeuse m’a dit qu’il avait un dossier de belles photos de Carlos Monzon, l’ancien champion du monde argentin. Elle m’a fait remarquer le tampon Sygma ainsi que ma légende et mon nom. Ça m’a fait rire car Sygma et Gamma étaient réputés pour ne jamais récupérer les tirages qu’ils avaient envoyés aux clients. Ils estimaient plus rentable de les refaire. A l’époque, seuls Rapho et Magnum insistaient pour que les épreuves reviennent à l’agence. Quoi qu’il en soit, mes photos ont été vendues dans le lot à un collectionneur de boxe, qui a depuis ouvert un musée. Après la vente, je lui ai dit qu’il les avait eues pour pas cher »
« Le plaisir que j’avais avec Jimmy Fox, c’est qu’il aimait bien mon travail. » confie Christian Simonpietri au téléphone depuis son île chérie, la Corse. « On se parlait en anglais. Après c’est Bruno Barbey qui me donnait de ses nouvelles. »
Magnum, rue Christine
« En 1974, il n’était pas encore en poste quand je suis rentré à Magnum » se souvient ému Pascal Frey, historique commercial de Magnum. « C’était l’époque de la rue Christine avec Anna Obolensky, avant le meeting annuel de Magnum qui allait virer Anna Obolensky et Marc Riboud. Après ça, il y a eu la révolution culturelle avec François Hébel ! Je suis parti dans la charrette de 1984. »
En 1976, il devient rédacteur en chef du bureau de Magnum à Paris, rue Christine, rive gauche. Une époque heureuse, « les années 80 » où l’argent de la publicité a coulé à flots dans les journaux, donc également dans les agences photo. C’était aussi le début de la grande vague d’expositions, de rencontres et de festivals que connait la photographie. « Je le voyais souvent à Arles ou dans les expos à Paris, Il s’intéressait à tout ce qui touchait au photojournalisme … » se souvient Bernard Perrine, alors rédacteur en chef du magazine Le Photographe.
Quand le photographe Pierre Blouzard a travaillé comme archiviste au Bureau de Magnum Paris (1969 – 1971) Jimmy Fox était à New York. « Il venait de temps en temps à Paris. Je me souviens que Bruno Barbey lui écrivait : « Monsieur le renard ».
« C’est une page qui se tourne, plus qu’un homme qui disparait, c’est un grand monsieur du photojournalisme d’après-guerre qui est parti. » commente Raymond Depardon. « Il connaissait, ceux que j’appelle, les « gaullistes anglais » de Magnum avec à leur tête Georges Rodger. Il était aussi ami avec Marilyn Silverstone qu’il a fait entrer à Magnum. Il connaissait toute la première et la seconde génération de Magnum où il était un petit peu la voix de la sagesse. Il a beaucoup aidé les photographes à bâtir des « features ». Il discutait des heures et des heures dans les bureaux de la rue Christine. L’influence de Jimmy Fox arrive jusqu’à nous, à moi, à Salgado. Si cette coopérative tient encore le coup, c’est un peu grâce à lui. Il connaissait par cœur les statuts de Magnum avec toutes leurs subtilités. »
« Je l’ai rencontré la première fois, j’étais encore à Viva. » raconte Guy Le Querrec depuis sa Bretagne : « J’ai vu vos photos, j’aimerai bien qu’on se voit… Après, je l’ai fréquenté trente ans à Magnum. A l’agence on fêtait toujours les rois, la couronne… Il était toujours là. Il aimait bien blaguer sur les mouvements de foules qu’il y avait autour des photographes. Il me disait : « J’ai vu tes groupies ». Il était généreux et d’une grande dignité. Comme je suis né 14 rue de Buci à Saint Germain des Prés d’un père ouvrier , il croisait souvent ma mère qui me disait : « J’ai vu ton patron ». Je lui expliquait que c’était moi le patron avec les autres photographes, mais c’est resté comme une blague entre Jimmy et moi. »
Le reporter de Sipa Press, Thomas Haley, a bien connu Jimmy Fox. Il a travaillé pour Magnum en tant qu’iconographe, d’abord au bureau de New York (1978-1979) puis au bureau de Paris (1979-1982). « Jimmy était le directeur éditorial du bureau de Paris, mais plus que cela, il était la conscience du bureau de Magnum Paris. C’était une sorte de Père Supérieur qui savait tenir ses moines très doués, mais parfois un peu enfantins, comme peuvent l’être les photographes. Il était souvent le premier à qui les photographes soumettaient leurs travaux et il n’était pas avare de critiques. Il aimait la photographie, il aimait les photographes. »
« Un homme adorable, très fier d’appartenir à l’agence Magnum. » pour Alain Mingam et toute la génération qui a suivi celle de l’après-guerre. « Je le voyais de temps en temps car il était raide dingue de photo » dit Alain Keler de MYOP. « C’était l’œil complémentaire des photographes de Magnum. » C’est « toute une période de ma vie, de notre vie tout jeune photographe » commente Eric Brissaud sur Facebook « Une belle pensée et un beau monsieur » Tandis que Bruno Stevens s’exclame « Oh ! Quelle tristesse, il m’avait très gentiment accueilli et conseillé au retour de mon premier reportage en Afghanistan à l’été 1981. Une perte pour le photojournalisme dont il incarnait les plus belles heures. »
« Thomas Haley[5], Jacques Bravo et moi » me dit Pascal Frey « Nous sommes allés le voir dans une espèce de maison de retraite religieuse, l’œuvre de Saint-Casimir… Dans sa chambre il avait encore quelques photos de lui à différentes époques. Il connaissait tout de Magnum, mais la mémoire lui manquait. On a bien ri. Je l’ai connu en 1976 à Magnum. A cette époque il était la mémoire vivante de Magnum. Il savait tout et était très discret. C’est lui qui trouvait des histoires pour tous les photographes, Gilles Peress, Bruno Barbey etc. Il leur donnait des histoires que je vendais aux magazines. »
Michel Puech
Article publié dans www.a-l-oeil.info
La collection de photographies rassemblée par Jimmy Fox a été vendue le 22 janvier 2020 pour payer sa maison de retraite. La vente a concernée 18 tirages de André Kertész, Constantine Manos, George Rodger, Ansel Adams, Robert Frank, George Tames, Bruce Weber, Jean Gaumy.
Institut catholique Casimir Paris
[1] Courriel de Jimmy Fox daté du 13 mars 2011
[2] Courriel de Jimmy Fox daté du 28 mars 2011
[3] BOXE de James A. Fox – Edition de la Martinière 2001 – broché 192 pages
[4] Courrier du 1er janvier 1966 confié à l’auteur par Jimmy Fox en 2013
[5] Thomas Haley a débuté archiviste à « Magnum Paris fin 79 et jusqu’au mois d’avril/mai. Ensuite j’ai quitté Magnum pour devenir photographe… »