Jean-Luc Godard est décédé hier mardi 13 septembre. En 2021, nous avions publié un article sur travail de Stéphan Crasneanscki. “Invité à explorer les archives du cinéaste fondateur, Crasneanscki a photographié la collection personnelle de Godard de films, de bobines et d’éphémères historiques.” Un regard privilégié sur l’ésprit de cet iconique réalisateur.
Libraryman : Stéphan Crasneanscki : What We Leave Behind – Des archives de Jean-Luc Godard
À la suite d’une commande de composition sonore pour Deutschlandradio, l’artiste multidisciplinaire Stéphan Crasneanscki (né en 1969, français) examine plus avant son opus significatif What We Leave Behind, sur les archives du réalisateur français Jean-Luc Godard, sous forme de livre. Le livre est divisé en quatre sections complètes: boîtes, collages, natures mortes et notes.
Invité à explorer les archives du cinéaste fondateur, Crasneanscki a photographié la collection personnelle de Godard de films, de bobines et d’éphémères historiques. Les notes et références dans le livre attestent du passage du temps, tout en étant sauvé de l’oubli; comme une carte créative fragmentée du processus de pensée artistique d’un maître cinéaste. En plus de travailler avec les effets personnels de quelqu’un et son patrimoine culturel, Crasneanscki ajoute également sa propre interprétation et son admiration à la constellation d’idées d’identité, de traçabilité, de temporalité, d’espace, de mémoire, d’existence, de matérialité et d’historicité du matériau.
Le livre contient une préface de la musicienne, auteur et poète Patti Smith (née en 1946, américaine), une conversation avec le cinéaste Abel Ferrara (né en 1951, américain) et un essai écrit par le critique de cinéma, historien et éditeur Antoine de Baecque (né en 1962, français).
Godard Inventory: Comment Il organise sa Bibliothèque
Antoine de Baecque, Paris — ‘20
Boîtes de livres, boîtes de cassettes VHS, boîtes de fichiers, boîtes de papiers et même boîtes de boîtes. Quarante-trois en tout. Elles représentent le déménagement d’un appartement de deux pièces, le déménagement d’une bibliothèque importante. Chaque boîte est placée verticalement et maintenue ouverte par une main qui retient parfois un rabat en carton pour l’empêcher de se fermer ou soutient un livre pour l’empêcher de tomber. Ce n’est pas la même main qui a entrepris le déménagement, juste une main qui focalise notre attention et dit: «Regarde à l’intérieur». Ne fouille pas plus loin que l’œil: il faut rester à la surface des choses; on ne peut pas pénétrer dans la boîte comme vous le feriez dans l’intimité d’une vie. C’est une observation, une trace: boîte n ° 1, boîte n ° 2, boîte n ° 3… boîte n ° 43.
Au total, on nous présente cent soixante-quatre photographies.
Tout d’abord, nous voyons une bibliothèque, organisée par auteur, thème et film Godard; il y a beaucoup de littérature, pas mal d’essais, du cinéma. L’inventaire des «savoirs Godard» est présenté à travers quarante-trois photographies. Parmi les classiques, on retrouve: Balzac, Stendhal, Diderot, Shakespeare, Tchekhov, Racine, Victor Hugo, Ovide, Sénèque, Lovecraft, Wilde, Londres. Parmi les auteurs du XXe siècle: Rilke, Borges, Thomas Mann, Gide, Conrad, Brodsky, Cocteau, Artaud, Céline, Green, Bernanos, Valéry, Duras. Parmi les penseurs modernes: beaucoup de Sartre, Foucault, Barthes, Jakobson et ses Six Lectures on Sound and Meaning, Transit d’Anna Seghers, Elements of the History of Mathematics de Nicolas Bourbaki, Bernanos par lui-même d’Albert Béguin et les volumes plus courts de Michel Leiris et Maurice Blanchot. Enfin, quelques contemporains, mais pas de romans: The Rest Is Noise d’Alex Ross, Lignes de front d’Avital Ronell, La Parallaxe de Slavoj Žižek, Figures du Palestinien d’Elias Sanbar, The Shock Doctrine de Naomi Klein, The Ignorant Master de Jacques Rancière. Il existe des boîtes monographiques, voire monomaniaques: une boîte dédiée à Malraux, avec de nombreuses éditions Gallimard anciennes écornées; un coffret «histoire de l’art» avec Elie Faure et de grands volumes illustrés; un coffret «thriller», comprenant Chase, Hammett, Asimov, I Am Legend de Richard Matheson; les six grands volumes du Dictionnaire général des oeuvres et de l’Ancien Testament; un coffret Sartre / Beauvoir; un coffret «Allemagne» comprenant l’Allemagne de Germaine de Staël, Wittgenstein, Nietszche, Walter Benjamin, un itinéraire théorique de Jean-Michel Palmier, Junger, une belle photo de Brecht, Ludwig Hohl; une boîte russe, avec les contes de Kolyma, l’archipel du Goulag, Stanislawski et Orlando Figues, A People’s Tragedy: The Russian Revolution; une boîte à musique avec Histoires de la musique, une biographie des mémoires de Mozart et Glenn Gould; une boîte Ramuz remplie à ras bord. Et puis, le cinéma: tomes 5, 12, 13 et 14, grandes réimpressions jaunes des Cahiers du cinéma de 1961-1964, What Is Cinema? de Bazin, Bresson’s Notes on the Cinematograph, Glauber Rocha de Sylvie Pierre, des livres sur Maya Deren et Abel Gance, The Look of Buster Keaton de Robert Benayoun; un coffret de cinéma russe et soviétique: Eisenstein, Vertov, Paradjanov et A History of the Russian and Soviet Film de Jay Leyda; une boîte hollywoodienne: Amis américains de [Betrand] Tavernier, Hitchcock-Truffaut, et une belle photo de John Ford à Monument Valley. (….)
Antoine de Baecque, Paris — ‘20
What We leave Behind
Photographies par Stéphan Crasneanscki
From Jean-Luc Godard’s Archive
Préface par Patti Smith
Conversation avec Abel Ferrara
Essai par Antoine de Baecque
Edité et conçu par Tony Cederteg
Edité par Libraryman
20 x 26 cm. 216 pages. 177 planches en couleurs.
Couverture souple imprimée offset avec typographie sur la couverture avant et dos en feuille noire.
ISBN 978–91–88113–45–0
Publié en 2021.
https://www.libraryman.se/stephan-crasneanscki-what-we-leave-behind/