Il y a un mois mourrait Denis Brihat. Françoise Denoyelle nous a envoyé ce texte et cette image !
Denis Brihat voit le jour à Paris (1928) et, encore adolescent, commence à prendre ses premières photographies avec un Vest Pocket Kodak. Il passe par l’École de Vaugirard qu’il abandonne vite préférant se former sur le tas. Le jeune recrue emporte au régiment son Leica et devient photographe officiel de la 5e DB. De retour à la vie civile, il devient opérateur au studio Chevojon. Ses connaissances confortées, il prend vite le large. Au sortir de la guerre, la photographie reprend ses marques. Une nouvelle génération émerge. Les photographes illustrateurs comme ils se nomment travaillent pour tous les secteurs de la vie économique. Brihat, comme eux, répond aux commandes des milieux de l’architecture, de l’industrie…publie dans la presse des reportages et des portraits. Sur les conseils de Robert Doisneau, il rejoint l’agence Rapho qui l’envoie dans le midi. Il s’installe à Biot (1952-1955) où Louis Frédéric lui propose de l’accompagner en voyage. Il passe une année en Inde (1955-1956) et en rapporte de nombreux reportages et photographies de rue et un amour profond pour ce pays. À son retour, il obtient le prix Niépce (1957) et la Société française de photographie lui offre sa première exposition. Mais la vie citadine et le travail de photographe illustrateur ne lui conviennent pas.
Brihat entreprend alors des recherches et s’engage dans une sorte de retraite sur l’austère plateau des Claparèdes. Il réfléchit aux orientations qu’il souhaite donner à sa ligne de vie liée à sa conception de la photographie. Il s’installe définitivement (1958) au cœur de la Provence, à Bonnieux. Son portfolio sur les citrons (1963) obtiendra une mention au Prix Nadar. De nombreuses expositions présentent son travail et des rencontres de premier plan alimentent sa réflexion. Elles forgent de solides amitiés dans le Sud avec Lucien Clergue (Arles), Jean Dieuzaide (Toulouse), Jean-Pierre Sudre (Lacoste en 1973). Alors que la photographie ne trouve pas d’écho institutionnel en France, Brihat fréquente les Rencontres de Lure jusqu’en 1967. Il retrouve Dieuzaide à Lurs (1957). Ils se sont connus lors du prix Niépce de Dieuzaide (1955). À la fin du congrès des Compagnons de Lure, Dieuzaide repasse par Bonnieux, réalise un reportage sur Denis Brihat publié en décembre 1959 dans Point de vue Images du monde. Sudre et Brihat exposent ensemble à la galerie Montaigne à Paris (1962) Brihat vient aux vernissages du musée Réattu à Arles où il retrouve également Clergue. Un réseau prend forme.
En 1965, à une époque où les expositions sont rares, Brihat expose son travail au musée des Arts décoratifs à Paris et, en 1966, il participe à une exposition à Buenos Aires avec Frédéric Barzilay, Jean Dieuzaide et Roger Doloy. En 1965, John Szarkowski, successeur de Steichen au MoMA, dans l’esprit de Life et sur proposition des directeurs artistiques des magazines internationaux, dont Roger Thérond de Paris Match, invite la photographie de presse sur les cimaises du musée avec l’exposition « The Photo Essay ». Deux ans plus tard, Denis Brihat, Jean-Pierre Sudre et Pierre Cordier sont réunis dans « A European Experiment » (1967). La photographie, largement accueillie dans les musées aux États-Unis, est délaissée par les conservateurs français à l’exception de Jean-Claude Lemagny de la Bibliothèque nationale. Déjà fort connu, mais dans le seul microcosme de la photographie, Brihat participe à l’émission « Chambre noire », de Michel Tournier et Albert Plecy, dédiée à la photographie. Elle lui ouvre un plus large public (1966 et 1969). En février 1968, l’exposition « L’œil objectif », à Marseille, rassemble Brihat, Clergue, Doisneau et Sudre. « Les quatre grands de la photo » sont consacrés par la presse locale et la région les reconnait enfin. Brihat, organise les Rencontres de Bonnieux (1969-1971), auxquelles il convie Jean Dieuzaide et Jean-Claude Lemagny, mais il ne poursuit pas son initiative pourtant fort novatrice faute de temps et de disponibilité, concentré qu’il est sur ses travaux de recherches et occupé par les étudiants qu’il accueille pour une formation de neuf mois. Sudre, l’encourage dans cette démarche.
Brihat contribue largement à la création des Rencontres d’Arles. Il y exposera (1971, 1974, 1979), projettera ses photographies (1970), dirigera des stages (1974, 1979, 1983). En 1970, lors des premières Rencontres de la photographie, Brihat (avec Jean-Philippe Charbonnier et Jean-Pierre Sudre), projette et commente ses travaux de recherche. Il défend déjà la vente de tirages limités et numérotés. D’esprit militant, comme ses confères et amis, depuis Arles, dans la filiation du festival, Brihat, et trois autres photographes, (Charbonnier, Clergue et Sudre), adressent une longue lettre au Président de la République, Georges Pompidou. Ils alertent les pouvoirs publics sur le manque de reconnaissance de la photographie et sur les moyens d’y remédier. Le militantisme qui prévaut dans les premières années se manifeste à nouveau lors du colloque sur l’enseignement de la photographie (1973). Brihat vote une motion-manifeste pour appeler une nouvelle fois les responsables politiques à prendre en compte la photographie. Brihat, avec Sudre et Dieuzaide, dont l’œuvre est assez connue pour susciter une envie de recevoir leurs conseils et avis pendant quelques jours, mettent sur pied les « workshops » arlésien (1974). À Bonnieux, Brihat et Sudre organisent « Études et recherches d’art photographique du Luberon », un stage de photographie expérimentale. Ils assurent une formation destinée à de futurs professionnels, une activité que Brihat poursuivra durant sept ans (1969-1975). Parmi ses premiers étudiants figurent Jean-Marc Bustamante, Serge Gal et Yann Le Goff.
Brihat commence ses recherches sur la couleur. Il expérimente toute une gamme de virages métalliques ainsi qu’un procédé de gravure de la gélatine par grignotage qu’il ne va cesser d’explorer à la recherche d’une poétique de la couleur dont il est le grand maître. Ses tirages sont exposés à Paris, galerie Agathe Gaillard (1977), en France (musée Nicéphore Niépce (1977), galerie du Château d’eau (1980) et à l’étranger (Europe et États-Unis). Avec Bernard Perrine, il participe à la création d’un cycle d’études de la photographie à l’Université de Marseille (1977) où il enseigne pendant deux ans. Dans les années 1980, il invite Jean Dieuzaide, Hélène et Rachel Théret… à l’accompagner lors de stages d’une semaine. Mais l’essentiel reste son travail personnel pour lequel il reçoit le Grand prix Photographie de la ville de Paris (1987) qui clôt son activité de passeur. Il se consacre désormais entièrement à son œuvre.
Avec l’installation à Bonnieux, Brihat entreprend et développe dans une ascèse constante des cycles consacrés aux citrons, aux fleurs – coquelicots, tulipes- aux arbres… et plus tard aux herbes. Les oignons, dans leur banalité, restent le lieu des expérimentations incessantes. « J’ai photographié des oignons pendant 50 ans. » Il expose « 20 ans d’oignons » à la SFP (1988). Sa relation à la nature est très tactile. Il cultive son jardin, arrache ses oignons, fait pousser l’ail, regarde les arbres franchir les saisons. Il passe de longues heures dans ses deux laboratoires (jour et nuit) pour constituer ses « Tabeaux photographiques » et tirer les séries en nombre limité, concevoir le cadre pour ses expositions à Paris, à la galerie Camera Obscura (2003, 2008, 2012, 2015), à la MEP (2011, exposition collective), à la BNF (2019), en région à la Galerie Dominique Sudre à Lyon (2010) et à l’étranger (Europe et États-Unis) qui se multiplient. Il publie Les métamorphose de l’argentique (Le Bec en l’air, 2018) où il revient longuement sur son travail, ses méthodes, ses techniques, ses « tours de main » et donne à voir une œuvre de premier plan, fruit de 70 ans de recherches.
Denis Brihat a fait plusieurs donations de ses œuvres accompagnés d’achats à des institutions publiques. Ami de Jean-Claude Lemagny, il entretenait de longue date des liens avec la Bibliothèque nationale. En 2019, il fit don d’une centaine d’épreuves à la BNF. Une autre donation est engagée avec la Médiathèque du Patrimoine et de la Photographie à laquelle il a déjà confié 90 tirages et le travail de reportage la même année. La donation se poursuit avec la MPP. Enfin, le musée Nicéphore Niépce a reçu une cinquantaine de tirages sur « Les fleurs des sables ».
Personnalité paradoxale, Brihat s’est très vite mis en marge dans les années 1960-1970) en décidant de s’éloigner de Paris, en choisissant l’art et la vente d’œuvres signées, numérotées en lieu et place du reportage et de la presse alors dominants. Avec ses amis du Sud, il fut un homme de partage, un militant pour la prise en compte de la photographie, un passeur. Sa reconnaissance, pourtant acquise dès l’exposition aux Arts décoratifs et au MoMa, fut longue à prendre de l’ampleur. Mais l’homme a tenu contre vents et marées, l’artiste a cheminé entre ses échecs et ses réussites, l’esthète a construit une oeuvre.
Denis Brihat, fut un photographe dont l’oeil sublima les brindilles de la vie dans son jardin, c’est à dire l’essentiel.
Merci pour tant de beauté.
Françoise Denoyelle
Michele Schoonjans Gallery présente une exposition des oeuvres de Denis Brihat, qui aura lieu dans leur galerie Bruxelloise du 12 janvier au 1er mars 2025.
Le dimanche 9 février 2025, Solange Brihat sera présente à Bruxelles à l’occasion du Photo Brussels Festival (23.01>23.02.2025).
Michele Schoonjans Gallery
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