Le festival ImageSingulières s’est ouvert à Sète pour sa huitième édition et présente, jusqu’au 22 mai 2016, une dizaine d’événements : expositions, projections, conférences, rencontres. Le tout, très organisé par l’équipe du festival et des bénévoles, a pris en charge pendant les quelques jours d’inauguration les professionnels du monde de la photographie, et ouvre ses portes aux Sétois.
Il ne s’agit pas ici d’établir une liste exhaustive des expositions car, bien qu’ayant chacune sa spécificité d’accrochage, l’ensemble de la programmation n’est pas assez hétéroclite pour en faire jaillir un inventaire à la Prévert. Mais c’est l’unisson de la photographie documentaire qui fait la force et la singularité de ce festival.
Tout comme Ettore Scola apportait un témoignage dans « La gente di Roma » sur un aspect de la population romaine dans une époque au contexte économique et social où l’appartenance au territoire est puissante, Samuel Bollendorf et Mehdi Ahoudig racontent avec une tendresse objective les parades de majorettes du Nord, sorte de contes de fée contemporains de la classe ouvrière, dans un web-documentaire constitué de dix épisodes de cinq minutes, dont le teaser est présenté au Boulodrome.
Dans le même lieu, une découverte. Travail long, lent, et “patient”, comme se décrit lui-même Flavio Tarquinio qui a rencontré un couple dans un bistrot dans les années 1980. Ils se sont emparés du photographe comme l’on s’empare d’un appareil photo et deviennent les metteurs en scène de leurs propres rêves. « L’importance de prendre son temps », dit Tarquinio qui photographie pendant une vingtaine d’années Marie-Claude et Alain, qui vivent dans une précarité absolue, et reconstruisent une imagerie collective emprunte de références, telles que des scènes bibliques et mythologiques.
On y trouve également un regard croisé entre deux grands noms de la photographie, Alberto Garcia-Alix et Anders Petersen qui montrent leurs travaux réalisés lors de leur résidence au FIFV, le Festival international de Photographie de Valparaíso, au Chili.
L’exposition « Ukraine, de Tchernobyl à la guerre » de Guillaume Herbaut est installée au Crac. Des images, fortes, construites, assurément bonnes. Son actualité sétoise tourne également autour d’un sympathique et intéressant livre de conversation, publié aux éditions Filigranes et préfacé par Michel Poivert, entre Sophie Bernard, ex-rédactrice en chef du magazine Images, et le photographe, autour de l’évolution du travail de ce dernier.
La qualité des expositions est constante, homogène. Quoique. On oscille entre du bien et du très bien. La scénographie est adaptée à chacun des reportages, le bling-bling triste et absurde du Las Vegas de Christian Lutz au théâtre de la mer est naturellement exposé dans le noir, dans des caissons lumineux, reproduisant les lumières des néons de cette ville, aux artifices du jeu qui ne dort jamais.
C’est à la Maison de l’Image Documentaire (MID) que sont présentées deux expositions – deux oppositions. L’une, Prisons de Sébastien Van Malleghem, qui a photographié les prisons belges, détournant les contraintes administratives pour s’infiltrer dans les conditions à peine dicibles des établissements pénitentiaires belges. Van Malleghem parle et écrit aussi bien de son travail qu’il le photographie. Cette série est l’objet d’un livre aux éditons André Frère. L’autre exposition, légère, cocasse, presque désuète, est la présentation d’une aristocratie – incarnée ou déchue – qui nous fait l’honneur de nous livrer l’individualité, voire l’intimité d’aristocrates qui ont accepté de répondre à l’appel lancé par le photographe Rip Hopkins, construisant autant qu’elle les détruit, les clichés d’une classe sociale.
Peu de sujets très récents, à l’exception, entre autres, des quatre photographes chiliens, Nicolas Wormull, Cristobal Olivares, Paula Lopez-Droguett et Tomas Quiroga, dans le cadre de la traditionnelle résidence, en opposition aux intérieurs nocturnes de la dernière résidente Bieke Depoorter et composent un doux parfum de Sète, mélangeant des portraits d’habitants, des coins de rue, des paysages incontournables autant de fois photographiés qu’il est presque impossible de ne pas les intégrer. C’est la première fois qu’ils travaillent tous les quatre ensemble, et c’est une franche réussite. La scénographie, et la décision de ne pas distinguer les travaux apportent une douceur et une pluralité inspirées. L’exposition est accompagnée d’un catalogue, simple et bien façonné. Demeure une question – qui m’est toute personnelle et pour en avoir discuté avec des photographes et journalistes sur place – je l’adresse donc aux éditeurs de livres photo : est-t-il gênant d’imprimer une image en double page lorsqu’il y a un seul sujet, central, scindé au milieu par la reliure de l’ouvrage ? Les avis divergent. Au hasard des rencontres, celle avec Renaud Konopnicki, photographe basé à Paris, qui depuis la première édition du festival, s’évertue à tirer le portrait en argentique, des tous les photographes exposés. À suivre !
A noter, un petit bémol concernant l’exposition de la 3ème étape de La France Vue d’Ici, projet en collaboration avec Mediapart (voir l’article explicatif de l’année dernière) et Gares & Connexions en cours qu’il est plus intéressant de suivre sur le site afin de voir les reportages dans leur intégralité plutôt qu’une sélection, plus frustrante que sa volonté de mise en bouche. C’est dans la gare SNCF que sont présentés cette année sept photographes parmi les 25 photographes du projet, dont Hervé Lequeux, Frédéric Stucin, Patrice Terraz (choisi pour l’affiche du festival de cette édition).
Si les sujets photographiés ne vécurent pas heureux et n’eurent pas beaucoup d’enfants, c’est peut-être un espoir né d’une rencontre avec des photographes qui a su, ne serait-ce qu’un temps, les transformer en héros, personnages principaux d’un récit aussi dur et violent qu’est leur réalité.
FESTIVAL
ImageSingulières 2016
Du 4 au 22 mai 2016
34200 Sète
France
http://www.imagesingulieres.com