Le 19 février 1942, quelques semaines après le bombardement de Pearl Harbor par l’aviation japonaise et l’entrée en guerre des Etats-Unis, le président Franklin D. Roosevelt signe le décret 9066 qui organise sur la côte ouest l’arrestation et l’emprisonnement de tous les résidents légaux et citoyens américains d’origine japonaise. Ils seront 120 000.
L’exposition Then They Came For Us (« Ensuite ils sont venus pour nous ») à l’International Center of Photography (ICP) à New York retrace l’histoire de ce qui est, encore aujourd’hui, une des faces sombres de l’histoire américaine. En ces temps où le discours politique est très polarisé, cette exposition a une résonance particulière puisqu’elle s’intéresse à un événement que beaucoup aux Etats-Unis aimerait oublier tant il vient contredire l’image d’une Amérique triomphante, juste et démocratique au sortir de la Seconde Guerre Mondiale.
L’exposition suit un parcours historique et montre le processus de discrimination qui se met en place, l’incarcération à proprement parler, puis l’ouverture des camps à la fin de la guerre. Elle s’attache aussi à présenter des photographies et des objets de nature différentes et d’origines variées, comme des images de Dorothea Lange, d’Ansel Adams et de Toyo Miyatake, lui-même incarcéré. L’exposition s’intéresse particulièrement sur les résistances mises en place par les Américains japonais avant et pendant leur incarcération.
L’exposition a ouvert en même temps que celle d’Edmund Clark à l’ICP sur les camps secrets de la CIA et Guantanamo et le rapprochement thématique est inévitable tant leur teneur politique est proche. Then They Came For Us explore la tentation américaine de sacrifier les droits de certains au nom de la sécurité prétendue des autres. Les photographies présentées dans l’exposition sont incroyables tant elles contredisent cette notion de l’autre comme menace potentielle. On y voit, pour la plupart, des hommes, des femmes et des familles qui n’ont rien à voir avec une prétendue menace et qui, d’emblée, les montrent plutôt comme des victimes. La série de portrait d’Ansel Adams réalisée dans l’un de ces camps a reçu des critiques contradictoires qui reflètent bien l’esprit de l’époque : pour certains ces portraits étaient trop complaisants et montraient les Américains japonais comme des citoyens normaux, pour d’autres la série était mensongère et idéalisée parce qu’elle ne montrait pas les véritables conditions de vie des détenus.
L’exposition arrive à un moment où l’Amérique semble croire de moins en moins en ses propres illusions et ses propres fantasmes. On dirait que de plus en plus d’Américains en ont assez de la propagande classique de cette Amérique qui se rêvait comme la société démocratique par excellence. Tous les mythes, notamment historiques, sont peu à peu revisités et déconstruits. L’exposition met clairement en lumière les contradictions de ce pays qui, au même moment, est le libérateur de l’Europe oppressée et qui choisit la sécurité sur le respect des droits de certains de ses citoyens pour des raisons racistes. C’est ce qui est sans doute le plus intéressant dans les expositions historiques : elles parlent tout autant du présent.
Hugo Fortin
Hugo Fortin est un auteur spécialisé en photographie basé à New York, aux Etats-Unis.
Then They Came For Us : L’incarcération des Américains japonais pendant la Seconde Guerre Mondiale
Du 26 janvier au 6 mai 2018
International Center of Photography
250 Bowery,
New York, NY 10012
USA