L’exposition prend pour titre celui de la pièce centrale, Room #8, un quadriptyque au format gigantesque composant un long panoramique de plus de 10 mètres accroché sur deux pans de murs adjacents. L’installation donne à cette représentation d’un intérieur une réalité en trois dimensions, reproduisant un espace physique de façon ambiguë puisque l’angle n’existe pas lui-même dans l’image. Ce basculement de la perspective et des dimensions s’opère à différentes reprises dans l’ensemble des images exposées.
Dans Room #8 toujours, l’identification des différents objets collectés par l’artiste est rendue difficile par un jeu sur l’échelle, le tirage reproduisant les éléments dans un format légèrement plus grand que leur taille réelle. Les objets eux-mêmes, mélange de matériaux bruts et finis, sont tous ramenés à la verticale, contre le mur, exposés comme des œuvres d’art malgré leur caractère anodin ou leur fonctionnalité horizontale – le verre, l’abat-jour ou la boite à outils. Ce décalage de point de vue change la perception que l’on en a habituellement, leur authentification nécessitant parfois l’observation attentive d’une matière qui n’est plus que couleur, texture, forme ou symbole.
Certains objets, morceaux de métal inutiles, forment des dessins aléatoires imitant les lettres d’un alphabet que l’on est tout d’abord tenté de décrypter. Et ce, d’autant plus qu’aucun élément de ces compositions ne se répète et qu’ils font tous référence a des caractéristiques culturelles ou artistiques distinctes. La présence des pierres, notamment, évoque l’archéologie, le passage du temps, la construction autant que la démolition, la nature comme l’artefact, et la collection. Mises en scène dans leur forme naturelle ou transformées, ces pierres agissent comme une mise en abîme du procédé employé par l’artiste, au même titre que les photos qu’elles découpe et réintègre dans le décor.
Images noir et blanc délavées par le temps, les photographies semblent être des images amateurs, insufflant à ce décor froid une part d’intime. Accrochées sur le coté ou carrément à l’envers, ces photographies déjouent la perspective et invitent à une interrogation sur les différentes couches de réalité et de représentation. Cette approche est particulièrement claire quand elle mêle les différentes représentations dans un même plan, celui de l’image finale : la photographie d’un interrupteur est ainsi placée à la place attendu d’un interrupteur. `
Dans toutes les images d’Ilit Azoulay, le spectateur est ainsi amené à naviguer dans un décor aussi réaliste qu’abstrait. Libre à lui de lire ces compositions comme un espace réel ajusté par l’artiste avant d’être capturé ou comme des ensembles géométriques complexes guidés par les lignes et les couleurs. La mise en espace de la galerie, reconstruite pour l’occasion autour de trois triangles interconnectés, accentue ce jeu sur la géométrie.
Les dernières images d’Ilit Azoulay, réalisées dans un endroit en construction et non en destruction comme pour les précédentes séries, se débarrassent presque de la couleur et affirment ce parti pris : cercles des embouts électriques, angles nets des fenêtres et des murs, droites des fils tendus à travers l’espace vierge de l’habitation, spirales des câbles non branchés, carrés des dalles ou des grilles d’aération, rectangles des fenêtres auxquelles elle ajoute quelques rares formes recomposées.
L’intervention de la photographe est ici moins claire, ces dernières compositions imitant le réalisme du chantier, son chaos raide. On pourrait le lire comme une métaphore de son propre travail, en constant développement.
Laurence Cornet
Room #8, Ilit Azoulay
Jusqu’au 13 avril 2013
Andrea Meislin Gallery
534 West 24th Street
New York, New York 10011
USA
Tél. : +1 212 627 2552