Vent de liberté, hymne à l’improvisation, souffle de spontanéité, à la Galerie Joseph qui présente durant tout l’été, la première rétrospective photo des icônes de La Nouvelle Vague aux années 70.
Vandartists a réuni pour cette exposition plus de 100 tirages des deux plus grands photographes de cinéma français, Raymond Cauchetier (né en 1920) et Georges Pierre (1921-2003) qui témoignent de l’esprit créatif des réalisateurs tels que Godard, Melville, Chabrol, Truffaut, Rivette, Sautet, Resnais. Ils sont devenus des personnalités iconiques dans l’histoire du cinéma, de même que de nombreux acteurs dont ils ont fait le succès, parmi lesquels Jean-Paul Belmondo, Jean Seberg, Jeanne Moreau, Catherine Deneuve, Yves Montand, Anna Karina ou Romy Schneider. Les clichés de Georges Pierre, le photographe fétiche de Romy Schneider, décédé en 2003, n’étaient jamais sortis de ses archives et sont pour la plupart inédits.
Philippe Garner est l’auteur de la préface du catalogue.
Nouvelle Vague – nouvel esprit
Philippe Garner
Une des images les plus emblématiques du cinéma français est celle de Jean Paul Belmondo et Jean Seberg qui descendent l’avenue des Champs Élysées dans le célèbre film de Jean-Luc Godard À bout de souffle, réalisé en 1960. La plupart d’entre nous qui connaît cette image serait surpris, je pense, d’apprendre que ce n’est pas un photogramme du film. Elle a une identité propre – en tant que photographie qui saisit l’esprit du film – et son auteur n’est pas Godard mais Raymond Cauchetier. Ce n’est qu’un exemple d’une réalité méconnue concernant ces clichés qui ont irrémédiablement défini les films qu’ils illustraient.
Les photographies de Raymond Cauchetier et de son contemporain Georges Pierre, célébrées dans ce catalogue et dans l’exposition dont il est le support, met en lumière la relation vitale, dans l’histoire du cinéma, entre la cinématographie en tant que tel et les clichés qui servent à documenter le tournage du film et à sa promotion. Les photographes « de plateau » ou photographes « de cinéma » – comme ils sont généralement appelés – ont été pendant trop longtemps des héros méconnus, leurs prouesses ayant été attribuées injustement aux réalisateurs, qui endossaient à eux seuls le titre d’« auteur » et la gloire associée.
Il est temps de « rendre à César ce qui appartient à César » et d’ouvrir enfin la boite de Pandore – dont le couvercle était jusqu’alors vigoureusement fermé – pour révéler les liens complexes et fascinants entre deux disciplines distinctes mais intimement associées, à savoir la cinématographie et la photographie, et de reconnaitre le talent des photographes comme Cauchetier, Pierre et leurs pairs, à un moment fertile dans l’histoire du cinéma et de la photographie, tout en s’inscrivant dans un contexte artistique et culturel bien plus large.
Vers 1955, le cinéma pouvait se vanter de son demi-siècle de règne sur le divertissement populaire. Depuis ses premières tentatives autour de 1905 – l’année qui accueille la création du premier cinéma permanent à Pittsburg, États-Unis – c’est devenu un phénomène international, dominé par le pouvoir et la portée des grands studios Hollywoodiens. Cette prédominance a été défiée dans les années 1950 par une génération de réalisateurs européens, et surtout par un groupe de réalisateurs français avec à leur tête Jean-Luc Godard et François Truffaut, dont les oeuvres ont rapidement été connues sous l’intitulé « Nouvelle Vague ». Leur rejet des status quo et leurs importantes innovations constituent un pivot fondamental dans l’histoire du cinéma.
Ce qui était essentiel dans l’ambition des « leaders » de la Nouvelle Vague était la détermination à désagréger les artifices et les conventions narratives qui définissaient le cinéma traditionnel. En premier lieu, leurs idées ont pu s’exprimer dans leurs articles critiques publiés dans Les Cahiers du Cinéma, avant de se matérialiser dans la réalité à la fin de la décennie – en réalisant des films qui proposaient un langage cinématographique plus actuel. Les Quatre Cents coups de Truffaut en 1959 et À bout de souffle de Godard illustrent une réalité brute – l’antithèse des rêves et de l’échappatoire de la réalité qui dominaient jusqu’alors l’univers du cinéma. Eux comme d’autres – Claude Chabrol, Jacques Demy, Alain Resnais, et Jacques Rivette – étaient à la poursuite d’un réalisme et d’une spontanéité, mettant en exergue un certain caractère brut et les moments souvent anodins de la vie de tous les jours. Les réalisateurs de la Nouvelle Vague préféraient la lumière naturelle, des lieux de tournage réels plutôt que des studios, un scénario soumis à une plus grande improvisation, et la liberté d’enfreindre les règles de la narration et du montage, en repoussant les limites du champ des possible avec une discontinuité délibérée. Godard disait à juste titre qu’« une histoire devait avoir un début, un milieu et une fin, mais pas nécessairement dans cet ordre. »
Cette façon de repenser la réalisation d’un film a des antécédents dans le cinéma Italien notamment avec le neorealismo, résolu à narrer des histoires de la vie de tous les jours, courant dont Ladri di Biciclette de Vittorio De Sica de 1948 est une référence. Cette révolution cinématographique ne doit pas être vue comme un phénomène isolé. Elle s’inscrit et se comprend dans un contexte de questionnement existentiel d’après-guerre qui s’est traduit et manifesté à travers les arts – dans la littérature et la philosophie, dans le théâtre, et tangiblement dans la peinture et la sculpture. Les auteurs existentialistes privilégiaient la provocation à travers des interrogations plus larges, au lieu de se limiter à des réponses précises ; Samuel Beckett dans En attendant Godot, mis en scène pour la première fois à Paris en 1953, rejette les conventions d’une intrigue linéaire; pendant ce temps Jean Dubuffet invente le terme d’« Art brut » pour qualifier une nouvelle forme d’art qui enfreignaient délibérément les codes académiques ; l’étiquette « Nouveaux Réalistes » a été attribuée à un groupe d’artistes pour qualifier l’appropriation des couches d’affiches publicitaires – y compris des affiches de cinéma – la plupart aux couleurs criardes, dépecées des murs de la rue puis encadrées.
Il était presque inévitable que cet esprit anarchique invasif affecte également le domaine de la photographie, la soeur ainée statique de l’art cinétique du film. Henri Cartier-Bresson a publié son manifeste : Images à la sauvette – terme se référant au commerce de rue illicite – en 1952. Cela a valorisé une approche de la photographie qui mettait l’accent sur l’authenticité de l’instant, sur une part de vie qui devient une réalité picturale, avec une spontanéité et une vitalité qui priment sur les critères techniques et formels traditionnels. Il est révélateur que l’ouvrage exceptionnel de photographies Les Américains de Robert Frank ait été publié pour la première fois par Robert Delpire en 1958 dans une France plus réceptive que le pays dont il traitait. Cette nouvelle photographie reflétait non seulement un nouvel état d’esprit capable de plus de flexibilité grâce à des boîtiers plus petits et plus légers, des objectifs plus rapides, des pellicules plus sensibles, mais surtout l’ambition première de capturer le réel, la vérité.
Les principaux réalisateurs de la Nouvelle Vague sont devenus des personnalités iconiques dans l’histoire du cinéma, de même que de nombreux acteurs dont ils ont fait le succès. Le temps est venu de reconnaître le rôle crucial des photographes de cinéma. Ils ont été pétris dans le même moule social et culturel que les réalisateurs qui les ont sollicités ; ils ont partagé les mêmes ambitions et ont travaillé avec une stratégie semblable dans le but de produire des photographies – elles aussi également iconiques – pour lesquelles ils méritent une reconnaissance tardive parfaite et absolue.
ICÔNES – De la Nouvelle Vague aux années 70
5 juillet / 16 septembre 2018
Galerie Joseph
16 rue des Minimes 75003 PARIS