Notre collaborateur Jean Loh porte une profonde amitié et admiration à Ian Berry, l’un des derniers vétérans de Magnum. Alors pour son 91ème anniversaire, il nous a envoyé ceci :
Lorsque le livreur de Fedex a sonné à ma porte et m’a tendu un colis, je me suis demandé à haute voix qui m’envoie un cadeau de Noël en retard?. C’était le nouveau livre de Ian Berry, sous le titre « Ian Berry, the quiet man of Magnum » écrit par John Cogan, un ancien directeur d’école et photographe amateur. Ian m’avais prévenu de cette publication et j’avais commandé un exemplaire signé du livre. J’avais déjà deux livres dédicacés par Ian, d’abord un exemplaire vintage de son « The English » sorti en 1978, puis son « WATER », un important livre pour « sauver le monde » qu’il a signé pour moi devant la porte de la librairie de Perpignan, en 2023, lors de son exposition à l’église dominicaine pendant le Festival VISA pour l’Image le plus grand festival du photojournalisme au monde. Les deux livres sont aujourd’hui épuisés.
Le titre « Quiet Man of Magnum » décrit parfaitement Ian Berry comme le gentleman discret au profil bas que j’ai toujours connu, car parmi les membres de la prestigieuse agence Magnum Photos, il n’e manquait pas « d’hommes peu tranquilles », à commencer par Robert Capa, le co-fondateur qui pouvait se frayer un chemin de la guerre civile espagnole au débarquement d’Omaha Beach et jusqu’à Hollywood, grâce à une sorte d’espéranto multilingue de son invention. J’ai rencontré Ian Berry pour la première fois lorsqu’il a été invité avec Bruno Barbey au Shanghai Photo Center (SCoP aujourd’hui fermé) pour une exposition commune « Two Magnum Masters of Photography » en mai 2016. Sur la route en allant au SCoP, dans le taxi où nous étions tous les trois entassés sur la banquette arrière en ruine d’une Volkswagen Santana made in Shanghai, Ian me montrait les pages de son livre « The English ». À l’époque, j’étais plus intéressé par une exposition sur son travail en Chine, comme son reportage sur les Trois Gorges, mais l’occasion ne s’est jamais concrétisée jusqu’au festival de photographie de Shenzhen de 2019, où les organisateurs voulaient seulement des images sur le thème de la ville. Ian et moi avons alors décidé de montrer la série « The English », qui nous semblait plus « exotique » pour le public chinois, ce documentaire sur l’East-End londonien, où le quartier de White Chapel a commençé à se transformer avec les premières vagues d’immigration des Antilles Britanniques dans les années 1970 et 1980.
Il n’y avait pas que des photos de rue dans « The English », Ian Berry a composé une série de portraits empreints d’empathie, comme cette ménagère au chignon à la Marge Simpson tenant son petit chien à la sortie d’un marché couvert, où ce cordonnier fumant sa cigarette devant sa vitrine exposant des bottes à hauts talons rock and roll dans le style David Bowie, on voit aussi l’acteur Ian McKellen (le futur Gandalf dans le Seigneur des Anneaux) devant le théâtre au fronton éclairé au néon « Shakespeare Company », et le peintre Francis Bacon en plein discours dans son atelier capharnaüm. L’art du portrait de Ian Berry est aussi dans ses moments d’intimité avec Jane Birkin et Serge Gainsbourg dans leur appartement parisien peint tout en noir, où se promenant main dans la main dans les rues de Londres. Tous ses personnages « prenaient vie » devant son objectif.
Au Festival du photojournalisme de Perpignan, en 2023, Ian Berry a pu aligner ses tirages sur le thème de l’eau dans la grande nef de l’église des Dominicains. « Water » qui a commencé comme un projet de livre sur les pratiques religieuses dans les différents pays que Ian Berry avait couverts s’est avéré le tocsin d’alarme sur la crise de l’eau sans précédent que le monde traverse aujourd’hui. Sa femme et fidèle éditrice Kathie Webber, a écrit : « Pendant quinze ans, Ian Berry a parcouru le monde pour documenter les liens inextricables entre le paysage, la vie et l’eau. Ce livre rassemble une sélection d’images qui racontent collectivement l’histoire de la relation complexe de l’homme avec l’eau à une époque où le changement climatique démontre à quel point l’eau et la vie sont étroitement liées. »
Le livre rétrospectif des 70 ans de carrière photographique de Ian Berry reste encore à écrire. Deux tableaux Excel à la fin du livre Quiet Man énumèrent le nombre impressionnant de missions de Berry de 1959 à 2017, mais omettent les années récentes comme son voyage au festival de la photo en Chine avec moi en 2019, ou comme quand sa femme Kathie et lui ont roulé en voiture de Londres à Perpignan en 2023. Le « Quiet Man de Magnum » contient quelques anecdotes intéressantes notamment lors de sa traversée de l’Afrique en Land Rover, quand il est arrêté par trois hommes à une frontière entre deux pays, qui lui demandent de payer une amende (pots-de-vin) 20 dollars à chacun, les trois se font passer pour « la police, l’immigration, la douane ».
À l’époque où la photographie de presse était à son apogée, lorsque les photographes et les soi-disant paparazzis se battaient pour le meilleur point de vue pour photographier les célébrités, Ian a vécu une expérience mémorable lors des funérailles de Jean Cocteau, le poète décédé au lendemain de la grande chanteuse Edith Piaf en octobre 1963. Ian arrive très tôt au cimetière pour repérer la place idéale, mais il est très vite bousculé par la foule croissante de paparazzis, il finit par tomber la tête la première dans la tombe ouverte de Jean Cocteau !
Dans ces années où la concurrence était féroce entre les photoreporters, Ian reçoit un jour de 1968 un appel lui demandant s’il voulait à se rendre à Prague, il a surtout entendu le nom de Don McCullin : « Tout le monde savait que quelque chose allait se passer. J’avais demandé un visa, mais rien ne s’est passé et mon visa a expiré. J’ai reçu un appel du chef de bureau à Paris disant que les Russes envahissaient la Tchécoslovaquie, et est-ce que je voulais y aller ? Il m’a dit que Don McCullin était déjà en route, et ce fut comme un coup de muleta rouge agitée devant le taureau que j’étais, alors j’ai dit « J’y vais ! » – et il réussit à traverser la frontière germano-tchèque en se faisant passer pour un délégué britannique à une conférence sur l’architecture. Il ignorait qu’un photographe local inconnu était déjà sur le terrain. Tandis que les chars du Pacte de Varsovie barricadent les rues, Ian a photographié les Tchèques écoutant sur un transistor la progression de l’invasion russe. Il ne pouvait pas ignorer « ce fou bien brave » sur la place Venceslas, « un maniaque absolu grimpe sur unchar, en portant deux vieux appareils photo sur une corde autour du cou ». C’était Josef Koudelka ! Qui rejoindra Magnum en 1974, douze ans après Ian Berry. Tous deux ont contribué à un témoignage capital sur ce chapitre historique. Ce qui est incroyable c’est quand je demande à Ian s’il avait montré ses photos du Printemps de Prague à Koudelka, il s’est étonné lui-même que cela ne soit pas arrivé. Il me dit : « c’est un type bizarre mais j’aime beaucoup ses photos sincères, il est vraiment temps que je lui montre mes photos et qu’on en discute… » !
A quel point Ian Berry pouvait se montrer discret sur sa photographie !
Jean Loh
“Water” by Ian Berry / Published by Gost Book 25 May 2023
Essay by Kathie Webber
180pp, 93 images
ISBN 978-1-910401-92-7 / out of print
“Ian Berry the Quiet Man of Magnum” by John Cogan
Published 30/08/2024 by Allies Group Ltd; Limited Signed Edition
Paperback 184 pages
ISBN-13: 978-1399990851