La puissance de l’image est d’une force telle que personne désormais ne peut y échapper, et pourtant cette année, la firme la plus prestigieuse est en faillite.
KODAK, ce nom magique, disparaitra-t-il de notre répertoire ? Il fut un temps où quelque appareil de photo que ce soit était désigné comme « un Kodak ». Nom lancé en 1888 par George Eastman, un génial philanthrope, qui l’invente à partir de sa passion pour la lettre K : trouver un nom qui commence et finisse par la même lettre.
Ce nom et son slogan : « appuyez sur le bouton, nous ferons le reste » ont accompagné toute notre vie. Les appareils certes, mais aussi les pellicules et en particulier la fameuse Kodachrome restée inégalée mais sous contrôle Kodak qui assurait le développement en exclusivité. Elle a disparu malheureusement des étalages.
Première à s’intéresser au numérique la firme Kodak n’y crut pas suffisamment et c’est ce qui l’a conduite à sa perte. Peut-être comme la firme General Motors, retrouvera-t-elle un second souffle et reviendra-t-elle sur le devant de la scène.
Axel de Tarlé qualifie de « snobinards » dans le JDD, les quelques photographes (dont je suis) accrochés à l’argentique ! Et bien oui, c’est un produit inégalable, que j’utiliserai tant que je le pourrai, tout en sachant que l’évolution de la technologie fera du numérique le produit de référence. Puis-je rappeler ici la prédiction que j’ai énoncée dans mon discours d’entrée à l’Académie : un jour viendra où on nous placera une puce sous la peau et d’un clin d’œil la photographie sera prise! Parlera-t-on encore d’art ?
Il n’y a pas lieu de se réjouir de certaines disparitions.
Déjà en 1969 lorsque notre firme nationale LUMIERE est cédée aux anglais ILFORD, j’avais écrit au Ministre de l’Industrie de l’époque lui reprochant d’avoir laissé mourir ce nom si emblématique à l’origine de la Photographie et du Cinématographe !
L’engouement pour la photographie est grand mais en France, la place du photographe comme artiste est au début de son histoire.
En ma qualité de membre du Conseil d’Administration de l’AGESSA, l’institution de protection sociale des artistes, j’ai pu constater qu’il y avait autant de peintres adhérents que de photographes, alors qu’à l’Académie des Beaux-Arts nous ne sommes que deux avec Yan Arthus-Bertrand, face à vingt artistes plasticien.
C’est pourtant à l’académie qu’en 1839 Arago annonça la naissance de la Photographie, procédé que la France offrit généreusement au monde en octroyant une pension à Daguerre et au descendant de Niepce mais il fallut attendre 2006 pour que nous y entrions tous les deux.
J’ai constaté que l’Institut de France dont nous faisons partie possède 17000 tirages dont les « incunables » de Talbot et les archives de Maxime du Camp. Les pièces maitresses seront exposées prochainement en Arles pour les Rencontres Internationales que j’ai créées voilà 43 ans (avec Michel Tournier et J-M. Rouquette). Cette présentation sera possible grâce aux travaux effectués par mon collègue et correspondant de l’Académie Bernard Perrine , qui publiera le résultat de ses recherches notamment dans les collections du Duc d’Aumale déposées au Musée Condé de Chantilly.
Désormais la Photographie s’est installée comme un art. Déjà collectionnés par le Museum of Modern Art entre les deux guerres, les tirages ont vu leur cote monter sans cesse : alors qu’Edward Weston, sur son lit de mort en 1958 imposait à ses fils de ne pas vendre ses tirages moins de 30 dollars, certains en valent aujourd’hui plus d’un million ; tout récemment Gurski a même dépassé les 5 Millions de dollars pour une épreuve certes de grand format mais tirée à 5 exemplaires, achetée par un Musée de Philadelphie.
On pourra cette année en France admirer des expositions d’illustres photographes dans des lieux prestigieux : Helmut Newton au Grand Palais, Bérénice Abbott (qui fut l’assistante de Man Ray et la protectrice d’Atget) au Jeu de Paume, alors que Cindy Sherman, quant à elle, sera exposée au MoMA de New York. Mais présentement réjouissons-nous des expositions parisiennes en cours : Robert Doisneau pour fêter ses 100 ans par ses photos des Halles à l’Hôtel de ville de Paris (sans oublier l’admirable livre de J.C. Gautrand sur ce sujet), pendant que le toulousain Jean Dieuzaide expose à la Maison Doisneau de Gentilly, que Dominique Isserman présente les photographies de sa muse Laetitia Casta à la MEP de Paris, que les recherches de l’ukrainien Boris Mikhailov sont présentées à la galerie Suzanne Tarasieve. Mais on peut aussi regretter que la rétrospective de Gilles Caron disparu durant la guerre du Cambodge en 1970, n’ait toujours pas été organisée en France, alors que paraissent sous le titre » J’ai voulu voir » ses lettres à sa mère pendant son service militaire en Algérie, (ed.Calmann-Levy).
Je n’ai pas le cœur à aborder les problèmes de l’Image sur le Web, la fermeture par le FBI du site MegaUpload et les controverses françaises sur la loi Hadopi, je vous le disais bien au début « l’homme est muet seule l’image parle »
Lucien Clergue