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Hubert Henrotte : 40 ans de photo-journalisme – Génération Sygma : Entretien

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Entretien avec Hubert Henrotte fondateur des agences Gamma et Sygma publié dans le livre « 40 ans de photo-journalisme – Génération Sygma. Entretien réalisé avec Jean Louis Gazinière.

 

En mai 1973, votre divorce avec Gamma, que vous avez fondée, est consommé. Comment se déroulent les premiers pas de Sygma, votre nouvelle agence ?

 HH : À dire vrai, après six années de travail acharné pour Gamma, j’ai surtout envie de prendre un peu de recul. Mais les photographes, emmenés par Henri Bureau, finissent par me convaincre. L’agence est officiellement créée le 14 mai. Je continue de me battre pour que les règles d’or que j’ai imposées à Gamma s’appliquent à Sygma : la signature des photographes et de l’agence, des relevés chaque mois, l’avance des frais et des films. Ce n’était pas simple. Contrairement à Gamma où nous avons débuté à cinq, nous sommes, cette fois, une petite trentaine et sans un sou ! Les journaux et les rédactions nous font confiance : Roger Thérond à L’Express, par exemple, m’assure qu’il continuera à travailler avec moi et me donne un minimum de garantie mensuelle. À cette époque, il y avait des grands professionnels dans les journaux qui avaient un instinct du photojournalisme, un oeil, une culture. Il faut désormais compter sur trois grandes agences de photos françaises : nous, Gamma qui reste mondialement connue et Sipa, désormais bien installée dans le paysage.

 

Sur quel terrain se joue la concurrence entre ces trois agences ?

 

HH : Celui du scoop ! Les journaux achètent de l’exclusivité. Être le premier est une priorité absolue. Il nous arrive donc d’envoyer deux photographes en même temps lorsqu’il y a un gros coup d’actualité : l’un fait une heure de photos, saute dans un avion pour les ramener à Paris afin de les diffuser dès le lendemain. L’autre couvre l’événement quelques jours supplémentaires. Tous les moyens sont bons. Certains paquets de films ont même mystérieusement disparu, victimes de cette concurrence acharnée entre agences.

 

Dans le domaine du people, Sygma prend rapidement quelques longueurs d’avance sur ses concurrents. Comment l’expliquez-vous ?

 

HH : C’est une spécificité de l’agence et le domaine réservé de Monique Kouznetzoff. Dès le départ, nous décidons de créer un département « people » et un autre « news ». Un troisième dédié au magazine sera créé un peu plus tard. Très vite, Sygma doit compter sur le people pour assurer son équilibre financier. Monique décide alors d’ouvrir un bureau dans la capitale mondiale des stars, Los Angeles. Elle choisit des photographes qui ne se consacrent qu’aux célébrités, des pointures comme Jacques-Henri Lartigue, Dominique Issermann, Bettina Rheims ou Helmut Newton. Elle joue les marieuses entre eux et les stars. Nous décidons aussi de monter des opérations spéciales comme celle de Brigitte Bardot sur la banquise qui se bat pour la cause des bébés phoques. À l’origine de cette idée, l’actrice elle-même. Elle veut frapper un grand coup et nous demande de co-organiser l’expédition. Je dis oui à tout : le jet privé, les frais de séjour et même l’équipe télé dont nous produirons le film. Et je pose une condition : avoir l’exclusivité des images. Pari gagné. Les photos font le tour du monde.

 

Et le news dans tout ça ?

 

HH : Le people rapporte des sommes considérables – près de la moitié du chiffre d’affaires de Sygma – mais le news est la première carte d’identité de l’agence, la vitrine historique du photojournalisme. Contrairement à aujourd’hui, les agences photo ont alors la main : elles créent, font l’événement. À Sygma, nous misons sur les grands sujets de prestige. Comme cet incroyable reportage au long cours sur le scandale des enfants au travail de Jean-Pierre Laffont. Nous sortons aussi un joli scoop sur les milliardaires de la Chine rouge. Nous trouvons des garanties pour ces sujets : les frais étaient payés et, parfois même, il y avait une avance sur les droits d’auteur. Un photographe et un rédacteur

peuvent enquêter sur le terrain pendant plusieurs mois.

 

Comment fonctionnait la machine Sygma ?

 

HH : À l’image d’une rédaction. Chacun des départements – people, news et magazine – est chapeauté par un rédacteur en chef. Son rôle est essentiel. Il doit non seulement trouver les bonnes informations, avoir du flair, mais aussi servir de courroie de transmission entre les photographes sur le terrain et l’agence. Il faut les rassurer parfois, les convaincre de faire tel ou tel sujet, souvent. Certains ne se mettent que sur les bons coups, ceux qui rapportent immédiatement et esquivent le reste. L’agence tourne de 5 heures du matin à 22 heures, sept jours sur sept. Nous mettons donc en place des permanences de week-end. La concurrence entre photographes est féroce. Nous avons aussi cinq éditeurs hors pair et des rédacteurs pour les textes et les légendes. À cela s’ajoutent un service de traduction en anglais et bien sûr un service des ventes, toujours sur le qui-vive.

 

En quoi la position géographique de Paris est-elle un atout pour le développement de l’agence ?

 

HH : À l’époque, Paris est la capitale du photojournalisme parce qu’elle est géographiquement au centre du monde. Prenez le cas de la guerre du Vietnam : les événements se déroulent à un bout de la planète pendant que les magazines américains, avides de photos, sont à l’autre bout. Nous étions au milieu, le carrefour des voies de communication. Sans oublier le décalage horaire qui joue en notre faveur : les photos envoyées la veille de Paris, par fret, arrivent le lendemain matin, à New York, pour l’ouverture de journaux. Et puis, nous avons développé un véritable réseau de bureaux – à New York, Los Angeles ou Londres – mais aussi de correspondants à l’étranger : des photographes et des vendeurs. Aujourd’hui, cela n’a plus aucun intérêt avec l’Internet.

 

Comment l’agence s’adapte-t-elle aux défis technologiques ?

 

HH : Nous avons toujours cherché à être à la pointe. À la fin des années 1970, nous créons Sygma TV, le département de production audiovisuelle. Monique Kouznetzoff produit pour Antenne 2 une émission people, un genre inédit à l’époque. Puis une émission quotidienne à partir de 1983, pour Canal+. Mais l’aventure s’estompe dans les années 1990. Nous sommes aussi pionniers sur le front du numérique. Pendant la première guerre du Golfe, les photos sont toujours en argentique mais nous utilisons la transmission numérique, par satellite. C’est une révolution pour une agence comme la nôtre. Mais nous ne pouvons pas suivre le rythme des défis technologiques : les investissements financiers sont énormes et la demande des journaux a beaucoup diminué avec la crise économique. C’est pour cela que je décide de prendre un partenaire financier.

 

Aujourd’hui, quel regard portez-vous sur le photojournalisme et le métier ?

 

HH : Tout le monde se considère comme photographe aujourd’hui. Et techniquement, les photos sont effectivement bonnes car tout est automatique. Il n’y a plus rien à régler, plus de mise au point à faire. C’est une grande différence : à l’époque, il fallait être journaliste et excellent technicien. Si la technique n’est plus un enjeu, il manque toujours à Monsieur Tout-le-monde la formation journalistique. Un photojournaliste est avant tout un journaliste. Il doit savoir écrire en images. Le métier existe donc toujours. Les conditions de travail, en revanche, se sont terriblement dégradées. Voyez les risques insensés pris par certains jeunes photographes indépendants pendant les printemps arabes ou la guerre en Syrie. Mais il faut aussi des supports de diffusion pour ces photos de qualité. Pour l’instant, les magazines et les journaux, étranglés par la crise, sont dans une logique de bas prix, de coût minimal. Pour l’instant… Je pense que tout est à (re)créer. Il faudrait pour cela accepter de ralentir le rythme des images – quinze à vingt mille images reçues par jour dans les rédactions actuellement ! –, avoir de vrais bons sujets de reportages construits dans le temps. À l’encontre du culte voué aujourd’hui à l’instantanéité. Est-ce possible ?

 

 

La trilogie des agences est toujours disponible. Avec comme co-auteurs Marie Cousin, Sylvie Dauviller et toute une équipe de jeune journalistes du CFPJ et moi-même

Michel Setboun

 

 

 

 

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