L’éditeur Robert Delpire est décédé à 91 ans le 26 septembre dernier. Caroline Benichou, actuelle directrice de la galerie VU’ à Paris, et qui a travaillé durant plus d’une décennie à ses côtés lui rend ici hommage. Elle a choisi pour accompagner son texte une illustration : un portrait de Robert Delpire par son ami André François, que l’intéressé aimait beaucoup.
Il n’aimait pas, disait-il, qu’on fasse son panégyrique. Rien ne lui déplaisait plus que les éloges.
Difficile de faire autrement pourtant, aujourd’hui que la page se tourne.
De lui, il restera tant. Mon propos n’est pas de dresser (d’autres s’en chargeront mieux que moi) la liste exhaustive des oeuvres accomplies durant une vie au service de la photographie, de l’édition, des auteurs, des expositions, du graphisme, de l’illustration, de la typographie ou encore de la publicité.
Il s’agit pour moi de lui rendre hommage et de rappeler son immense contribution à la découverte, à la connaissance et au rayonnement de la photographie. À son oeil et son esprit constamment exigeants et curieux, nous devons parmi les plus beaux livres de l’édition photographique, une liste pléthorique de grandes expositions (au Centre national de la Photographie qu’il avait créé avec Jack Lang en 1982 mais aussi dans beaucoup d’autres lieux d’exposition à travers le monde), comme des textes passionnants sur la photographie. Et aussi une collection, Photo Poche, la première collection de petits livres de photographie, qu’il avait souhaité réaliser à un prix accessible, afin de permettre au plus grand nombre d’avoir accès à des ouvrages d’une qualité de conception, d’iconographie, de textes et de fabrication irréprochable et rigoureuse. Ces livres noirs, devenus aujourd’hui d’incontournables références, ont fait et feront découvrir la photographie et ses auteurs à plusieurs générations.
Ses bureaux de la rue de l’Abbaye à Paris étaient un lieu rare, de travail mais aussi de convivialité. Alors que les maquettes se déployaient sur une table immense (« La forme, c’est le fond qui remonte à la surface », aimait-il à rappeler en citant Victor Hugo), que le studio retentissait de l’activité des graphistes et des iconographes, les auteurs (photographes, écrivains, historiens de la photographie…) fidèles à son talent, sa loyauté et son amitié, à sa rigueur et sa complicité intellectuelles, se succédaient en visite de travail ou amicales. Ainsi venaient Henri Cartier-Bresson, Marc Riboud, Josef Koudelka, Michel Vanden Eeckhoudt, Sarah Moon, William Klein, Michael Ackerman, Christian Caujolle, Erik Orsenna… pour partager des heures studieuses ou enthousiastes et des conversations passionnées.
Parfois, après une journée difficile, au moment de partir, il me disait, avec un sourire en coin : « Après tout, ce ne sont que des photographies », puis il arrivait le lendemain en déclarant (citant le leitmotiv d’un de ses professeurs de collège) : « pas difficile, pas amusant ! ».
Pour rendre hommage à tous ceux avec qui il avait travaillé, Robert Delpire voulait intituler l’exposition que lui avait consacré les Rencontres d’Arles puis la Maison européenne de la Photographie en 2009 « Mille mercis ». Le titre a changé, sans que je me souvienne pourquoi, aléas du projet sans doute. Aujourd’hui, c’est à nous, professionnels ou amateurs de photographie, auteurs ou photographes de le lui dire : mille mercis, Robert Delpire.
Caroline Benichou