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Hommage à Nathan Lyons, 1930-2016

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La génération des fondateurs de la photographie américaine de la deuxième moitié du vingtième siècle s’effrite : Nathan Lyons (1930-2016), co-directeur du Musée International de la Photographie à la Maison George Eastman dans les années 1960 (avec Minor White et Beaumont Newhall), instigateur et co-fondateur de la Society for Photographic Education en 1962-63, fondateur et directeur de Visual Studies Workshop (1969-2001) ainsi que du magazine international Afterimage est décédé le mercredi 31 août 2016 à Rochester (Etat de New York) des suites des complications d’une pneumonie.

Plutôt qu’une biographie que l’on retrouvera aisément sur Wikipedia ou dans des articles du New York Times, j’aimerais simplement évoquer un homme qui changea le cours de ma vie. J’ai rencontré Nathan Lyons au Rencontres d’Arles en 1988. À la lecture du programme des stages j’avais choisi le sien qui durait 5 jours et dont le thème était la lecture de photographies, de l’image unique aux séquences et séries (sa spécialité), et la critique photographique. Angliciste, responsable d’associations photographiques en Haute-Vienne et pigiste dans un journal local, l’intitulé avait dû me séduire. Le stage était donné en anglais, la traduction pour les non anglophones fournie par une jeune étudiante anglaise qui venait de passer un an d’assistanat en France.

La spécificité photographique des échanges me valut de souvent aider aux traductions et de faire la connaissance de Nathan et de son remarquable assistant de stage, Stuart Alexander. La journée que les deux érudits en la matière dédièrent à l’analyse des Américains de Robert Frank fut une révélation : il y a une pensée analytique, critique, et littéraire étonnante derrière les 87 photographies qui composent le livre. La mise en relation/proximité des images était génératrice de sens qui pouvait aller au-delà de la somme des contenus spécifiques de chaque image composant une séquence ou une série.

En tant que photographe, commissaire d’exposition voire galeriste, réalisateur de projets ou de livres photographiques on se devait de rechercher un tel but lors de réalisations. Il me fallut un autre stage du même type l’année suivante avec Régis Durand et deux ou trois années de réflexion sur les carences d’alors de l’enseignement français, y compris de l’enseignement universitaire, en matière d’études et d’enseignement de la photographie, de son histoire, de son statut contemporain, de son impact culturel et social, pour me faire reprendre le chemin de la faculté d’anglais de Limoges, bien décidé à introduire par mes travaux les photographies anglaise et américaine au sein du département d’études anglophones. Une fois mes examens de DEA passés je décidais de faire mon mémoire sur le photographe britannique Bill Brandt puis d’orienter mes recherches, en parallèle avec l’évolution de mes propres travaux photographiques et en vue d’une thèse de doctorat, vers l’étude de la photographie de paysage aux États-Unis dans la deuxième moitié du 20ième siècle.

Je contactai alors Nathan Lyons en lui demandant de me conseiller quant aux lieux et institutions qui pourraient me fournir les documents nécessaires, et quant aux photographes à rencontrer. Il me répondit que New York concentrait beaucoup de ce qui pourrait être utile à ma recherche, mais que Rochester où tout était d’accès plus facile, où la vie était moins chère, offrait une alternative plus qu’intéressante. Je ne soupçonnais alors pas à quel point le conseil était judicieux et aurait de répercussion sur ma carrière professionnelle et photographique. Entre le musée international de la photographie à la Maison George Eastman–l’appellation d’alors avant un récent « rebranding » à des fins de marketing–, et ses archives tant en livres qu’en tirages originaux, l’Institut de Technologie de Rochester–le « RIT » lui aussi fondé George Eastman pour assurer la formation de ses cadres et chercheurs à Eastman-Kodak–, l’université de Rochester (George Eastman encore) et Visual Studies Workshop–une institution photographique fondée en 1969 par Nathan Lyons et dirigée par lui jusqu’en 2001, combinant alors un programme de maîtrise beaux-arts en photographie et autres media visuels, un centre de recherche alors supervisé par William/Bill Johnson–une mine sans fond sur l’histoire de la photographie–un centre de stages, une galerie et une revue universitaire internationale, je me trouverais dans une sorte de paradis de l’histoire de la photographie américaine.

Une fois sur les lieux je me rendis rapidement compte non seulement de la richesse des ressources locales en matière de documents mais également de la richesse humaine de ce qu’on appelle de ce côté-ci de l’Atlantique, « Western New York » ou encore « Upstate New York ». La région abrite un triangle d’or de la photographie dont les trois pôles sont Syracuse (au sud-est avec LightWork), Rochester au centre nord, et Buffalo à l’extrême ouest avec ses universités publiques, la galerie Albright-Knox, et CEPA). Une fois installé à Rochester mes journées libres se passaient essentiellement à faire de la recherche dans les archives des institutions citées plus haut mais aussi en longues discussions avec Nathan et Bill qui ne m’ont jamais compté leur temps.

Très vite j’appris que Nathan Lyons était arrivé par hasard à Rochester, après trois années en Corée (1950-1953) comme photographe de reconnaissance au sein de l’armée américaine, et des études littéraires à l’université d’Alfred au sud de Rochester. En 1957, une fois sa licence obtenue il décide d’aller tenter sa chance à Chicago. Passant par Rochester il rencontre Minor White à la Maison George Eastman qui venait d’ouvrir ses portes en 1949. Ce dernier lui propose de devenir son assistant à la rédaction de la revue du musée Image. Nathan accepte. Trois ans plus tard il est promu au rang de directeur assistant et en neuf années, jusqu’à sa démission en 1969, il va accomplir une tâche considérable tant sur le plan de l’enseignement que de l’exposition, la promotion, la formation, l’histoire de la photographie. Il crée de nombreuses expositions marquantes promouvant la jeune photographie américaine.

C’est lui qui exposera Lee Friedlander pour la première fois (et ce n’est qu’un exemple parmi d’innombrables œuvres exposées dès 1963 dont Bruce Davidson, Carl Chiarenza, Eugene Meatyard, Ray Metzker, Duane Michals, Jerry Uelsmann, Garry Winogrand mais aussi les Boubat, Burri, Caponigro, Clergue, Gardin, Gautrand, Giacomelli, Harbutt, Hosoe, Josephson, Kane, Klein, Liebling, Mayne, McCullin Riboud, Sinsabaugh, P. Turner). En 1962 il organisa une conférence réunissant les quelques programmes universitaires en photographie beaux-arts d’alors pour une mise en commun des outils et savoirs, et une réflexion qui donnera lieu l’année suivante à Chicago à la création de la Society for Photographic Education. La SPE qui se met immédiatement au travail et recense les ressources et les besoins de l’enseignement photographique. Au sein de la Maison George Eastman, Nathan Lyons suscite maints projets et collabore à la création de documents pour les enseignants, de dossiers de diapositives à des recueils de textes historiques, organise la circulation d’expositions, de livres. On peut dire que lorsqu’il démissionne de la Maison George Eastman en 1969, dans un geste de solidarité avec une employée, Alice Wells, alors mise à pied suite à une accusation de « sorcellerie » par une de ses collègues, son rôle et son impact en matière de photographie contemporaine éclipse celui de son confrère du musée d’art moderne de New York, John Szarkowski.

Suite à son départ précipité Nathan Lyons crée Visual Studies Workshop dans un atelier d’Elton Street à 100 mètres du musée qu’il vient de quitter, un lieu alternatif de réflexion sur, mais aussi d’enseignement, de production et d’exposition de la photographie. Pour en assurer le financement iI conclut avec l’université de l’état de New York à Buffalo un accord lui permettant de créer et d’enseigner à Rochester une formation de maîtrise beaux-arts. Les premiers étudiants dont l’une des meilleures commissaires d’exposition de sa génération, Anne Tucker, doivent aménager les lieux : nettoyage, peinture, électricité, ébénisterie, entretien sont au programme. Tout le monde met la main à la pâte dans une entreprise communautaire exemplaire des années 1960.

En 2001, alors qu’il va prendre sa retraite, je peux surprendre Nathan toujours en train de balayer les feuilles mortes poussées par les bourrasques d’automne et qui s’engouffrent dans les locaux alors au 10 Prince Street. De la fin 2002 au début 2005, alors que j’enseigne à VSW et y occupe le poste de rédacteur en chef d’Afterimage (créé par Nathan en 1972), ce sera mon tour de les balayer et d’assurer l’entretien et la maintenance de mon bureau. Après la SPE, Nathan siègera à de multiples commissions et associations dont le National Endowment for the Arts. On retrouve ses étudiants à de hauts postes dans de multiples institutions muséales (dont l’International Center of Photography ou le MoMA), universités, galeries, ou encore récipiendaires des bourses Guggenheim ou du NEA pour d’importants projets photographiques. William Edwards fondera Light Impressions, fournissant pour la première fois des produits de qualité muséale aux photographes ; Mark Klett dirigera les trois Rephotographic Surveys ; Anne Tucker au musée des beaux-arts de Houston, où elle est la première directrice de la collection photographique basée sur le don de la chaîne de supermarchés Target, créera une des plus importantes collections du pays (comprenant, entre autres, l’intégralité des tirages de The Americans de Frank), et réalisera des expositions historiques (Brassaï, Robert Frank, Richard Misrach, l’histoire de la photographie japonaise, de la Photo League,…).

Jusqu’à son décès Nathan Lyons sera impliqué dans la communauté photographique non seulement locale, mais nationale et internationale, continuant à écrire, donner des conférences, recevoir tout photographe le sollicitant. Après avoir été exposé pendant de nombreuses années, dont au MoMA (The Photographer’s Eye et Mirrors and Windows) et une rétrospective en 2000 à la Maison George Eastman, à sa retraite, il se replonge dans sa propre production photographique d’expositions, de portfolios et de livres (après Notations in Passing (1974), et Riding First Class on the Titanic (1999), en 2003 After 9/11, et en 2014, Return Your Mind to its Upright Position. Célèbre pour ses travaux en noir et blanc, ces dernières années il travaillait sur un projet numérique en couleur tout en effectuant les tirages d’un dernier projet argentique.

Ils nous a beaucoup apporté et donné. Même ceux du monde de la photographie qui ne l’on jamais rencontré, ou ne soupçonnait pas son existence et apport, lui doivent beaucoup, sans le savoir. C’est un grand homme de la photographie qui nous quitte, avec discrétion, comme il l’a toujours fait.

Bruno Chalifour, Rochester, Etats-Unis, 5 septembre 2016.

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