Le jeune centre d’art et de danse Éléphant Paname et SIPA proposent une exposition en l’honneur d’une des grandes figures du monde la photographie, à l’occasion du cinquième anniversaire de sa disparition.
Cher Gökşin,
En nous quittant voici cinq ans, tu n’as sans doute pas eu tort de ne pas attendre tes 90 ans, qu’on aurait fêté fin décembre. Malgré ce mauvais coup, tu as du mal à te faire oublier. Cette expo en témoigne. Et je ne suis pas certain que le monde tel qu’il se façonne corresponde bien à ce que fut le sens de ta vie. Que reste-t-il, hormis Dylan qui n’ira pas chercher son prix Nobel de littérature, à Stockholm des idéaux libertaires, européens, laïcs, protecteurs des plus faibles, que le « grand Turc » photographiait sur les pavés de Mai 68 ? « Ce n’est qu’un début… », lisait-on sur les murs de Paris.
Pour toi, Gökşin, ce sera le début de la consécration d’un talent reconnu internationalement et la naissance de Sipa. Ruche, fourmilière, pépinière d’individus, de talents ingouvernables, de “mercenaires” que, seul, seigneur équilibriste du lieu, tu lançais sur les conflits les plus pourris du globe sans savoir si Match, Le Fig Mag, VSD, Newsweek ou Stern allaient te couvrir. Je ne suis pas sûr que le spectacle du magazine bouffé par le numérique, l’instant, la gratuité, ait pu te contenter. Je ne suis pas sûr que toi, le plus français des Turcs, aurais supporté de voir ton pays passer de la lumière à la nuit, au point de devenir la première prison à journalistes du monde.
Il reste de magnifiques souvenirs partagés par tous ceux que tu réunis encore une fois ici. De prestigieuses expositions : Sipa comme Sipahioğlu à Visa pour l’image à Perpignan en 1999, Right place Right Time au musée Istanbul Modern sur le Bosphore en 2006, à la MEP en 2008 pour la rétrospective Gökşin Sipahioğlu, Monsieur Sipa, puis, aujourd’hui, à Paris, pour Éléphant Paname invite Sipa.
Un souvenir fort me revient : j’étais à l’époque patron de VSD, le journal connaissait une crise grave, les fournisseurs nous coupaient les vivres. Pour me remonter le moral, tu m’as invité dans un de ces très bons restaurants où tu avais ta table pour me dire que « bien évidemment, Sipa continuerait à fournir VSD en images », quand les autres nous demandaient de payer au cul du camion. La classe ! A tes côtés, j’ai eu le grand plaisir en 2008 d’éditer aux éditions Scali Mai 68 : l’histoire en photos. Autant de souvenirs, durablement imprimés, du dernier patron de presse aventurier et romantique.
François Siegel
François Siegel est l’éditeur du magazine We Demain.
Photographies de Gökşin Sipahioğlu
Du 16 décembre 2016 au 16 janvier 2017
Éléphant Paname
10 Rue Volney
75002 Paris
France