Dans son histoire, PHOTO a souvent traité les scoop des paparazzi. Nous republions ici les plus marquants.
Le dernier exploit des paparazzi
Il y a quelques semaines, une information tombe des téléscripteurs dans la salle de rédaction: « Jackie Kennedy-Onassis a été photographiée au soleil de Skorpios, entièrement nue. Ces images sont publiées par un magazine italien. » S’agit-il du coup le plus énorme jamais réussi par l’un des photographes spécialisé dans les images à sensation ? Ou d’une sorte de chant du cygne de ce personnage si contemporain, à savoir le paparazzo, que Fellini fit vivre naguère dans La Dolce Vita ? En vous soumettant les documents qui ont soulevé récemment tant de controverses, Photo a voulu demander au metteur en scène Frederico Fellini, père spirituel (et involontaire) des paparazzi, son sentiment sur l’avenir de la photo à scandale:
« Dans mon enfance, à l’école communale de Rimini, j’avais un camarade napolitain nommé Paparazzo. Il parlait sans arrêt et très vite. Il faisait avec sa bouche des imitations étranges d’appareils mécaniques et d’insectes, notamment de moustiques. Quand j’écrivis le scénario de La Dolce Vita, son nom m’est revenu : sa consonance me semblait parfaitement correspondre à l’impression d’insolence, d’agressivité et d’ennui du personnage. Pourtant, cette race de photographes, consacrée dans La Dolce Vita, est apparue un peu avant le film. Ils étaient quatre ou cinq, à l’époque. Il y a eu en Italie, et plus particulièrement à Rome, un art du paparazzo qui s’est fait jour. Cela était dû à l’arrivée à Rome de la “jet société” cinématographique, qui tenait ses quartiers Via Veneto, à l’Excelsior ou au Grand Hotel, et alimentait le commérage photographique. Il faut bien dire que La Dolce Vita était la bible de cet état d’esprit. Tout un tas de jeunes garçons ont vu là un moyen de sortir de leur condition. Toute une série de journaux spécialisés s’était créée et tous étaient aussi friands de scandales. Très vite, ils ont marqué une certaine dégénérescence du photographe. Prendre des photos à l’affût, c’était un peu comme braquer son fusil sur quelqu’un. C’est aussi horrible et dégoûtant que l’écoute téléphonique. Il n’y a pas de bon paparazzo. Un bon paparazzo, c’est celui qui a son appareil cassé. En fait, ce sont des bandits, des voleurs d’images. “Il y a le risque”, affirment-ils. Quel risque ? Un reporter, lui, peut parler de risque. Eux, ils chipent à la sauvette quelques clichés, c’est pitoyable. “Nous faisons de la critique sociale”, plaident-ils. Entre la critique et l’agression, ils choisissent toujours l’agression.
Je voudrais préciser que je n’ai, contre eux personnellement, aucune rancune. Ils m’ont considéré comme leur père. Ils sont respectueux. Il y a des gens qui se prêtent à leur jeu : moi, non. Ils sont l’expression de la société dans laquelle nous vivons. Seules les tares de ce monde impitoyable leur ont permis d’exister. Mais ils tendent à disparaître. Le scandale devient difficile à créer. Les photos de Jacqueline Kennedy-Onassis ? Ce n’est vraisemblablement pas le dernier coup de maître. Aucun domaine n’a de limites pour les paparazzi. Ils peuvent faire toujours plus. Ils n’y a plus de matière à sensation. Les chercheurs de scandales tombent à côté et il leur faut changer de métier. »
Les fameuses photos de Jackie
Aucun nom, aucune anecdote, aucune légende technique : telles furent les conditions de l’auteur de ces sept photos pour qu’il consentît à nous les confier. Son exploit, sur le détail duquel nous ne saurons rien, fut de toute évidence difficile. Skorpios, l’île où s’est retiré le couple Onassis depuis son mariage, est protégée par une flottille de vedettes qui en interdisent toute approche. Ses 250 hectares et ses 10 kilomètres de routes sont surveillés jour et nuit par des gardes armés. Au centre de l’île, une somptueuse villa, résidence des Onassis. Un peu en retrait, une dépendance pour les invités. Les maîtres et leurs hôtes sont reliés au monde extérieur par un aérodrome et un petit port où sont amarrés leurs yachts. A l’écart de la plage, la « taverne » qui sert de vestiaire. C’est là que Jackie fut surprise, se séchant au soleil. Plusieurs photographes, à maintes reprises, avaient tenté de débarquer sur l’île interdite. Chaque fois, ils furent interceptés et refoulés. Deux ou trois d’entre eux, même, faillirent périr noyés. Enfin, un beau jour, l’un d’eux réussit à franchir le barrage… Ses photos nous posent toutefois un problème, car elles ne paraissent pas avoir été prises au moyen d’un gros téléobjectif. L’auteur eut-il recours à un subterfuge pour approcher sa victime ? Toujours est-il que Jackie et son mari ont pris le meilleurs parti : celui d’en rire… N’est-ce pas l’indice que, dans le monde des inventeurs de scandales, rien, décidément, ne va plus ?
« Le dernier exploit des paparazzi », PHOTO #66 mars 1973