Le 6 août 1945, la première bombe A de l’histoire rayait la ville japonaise d’Hiroshima de la mappemonde, tuant instantanément 60 000 civils puis près de 140 000 dans les mois qui suivirent. On en connaît des images horrifiantes prises la plupart par des photographes amateurs : corps brulés, déchiquetés, entassés ou flottant dans les eaux, regards anéantis de survivants, victimes errantes au milieu des ruines. Des images cachées, qui n’ont été publiées que bien des années après, vers 1960.
Les 60 photographies de Hiroshima Ground Zero, plus architecturales, ont mis plus d’un demi-siècle à être révélées. Un soir pluvieux à Watertown, dans le Massachussetts, un homme promenant son chien trouve au coin d’une rue une valise remplie de photographies. Don Levy, collectionneur en tout genre – notamment de jouets pour enfants – s’empresse de ramener le trésor chez lui et en parle dans le dinner qu’il possède. « Pas vraiment grand passionné de photographie, il est néanmoins tout de suite surpris par les images et leur teneur, raconte Erin Barnett, commissaire de l’exposition. Nous avons surnommé l’objet « The Massachussetts suitcase » en souvenir de la valise mexicaine de Capa. Il s’est retrouvé égaré sur le trottoir lors d’un déménagement et appartenait à un ingénieur civil américain : Robert L. Corsbie. »
Envoyé au Japon d’octobre à novembre 1945 évaluer les dégâts de l’arme atomique, Corsbie est accompagné de deux photographes – J. Meuenster et C. Adamson Jr. – ainsi que de cinq soldats de l’armée également munis d’appareils photographiques. Ensemble, ils sont chargés de fournir une analyse structurelle de la nouvelle force de frappe américaine. Ces images ont tout d’abord apporté des informations essentielles aux scientifiques, ingénieurs et architectes pour les futures bombes ou la protection du territoire américain face à une attaque similaire.
Même si le sujet reste encore controversé aux Etats-Unis, elles apportent aujourd’hui un témoignage unique à valeur documentaire. Ces photos sont scientifiques et frontales, par opposition à un grand nombre – de loin ou aériennes – prises à l’époque. On y découvre une ville rasée et une longue étendue d’où jaillissent quelques constructions. On imagine ce dont elles étaient faites, comment elles ont été détruites par le souffle de la bombe ou par le feu. Pompéi et ses ruines romaines ne sont pas loin. « C’est difficile d’imaginer ce que cet événement a pu être, dit Erin Barnett. Ce ne sont que des immeubles, mais des centaines de personnes y habitaient ou travaillaient. Quand vous savez qu’un tel était une école et qu’il ne reste que deux murs, vous comprenez rapidement. J’ai l’impression de voir la morgue d’une cité. »
Parfois, un rayon de soleil traverse une pièce. Un peu plus loin, sur une chaise, c’est une chemise déchirée. Un certain esthétisme parait se dessiner. Face à cette désolation matérielle mais surtout humaine, l’œil des agents d’Etat semble s’être sensibilisé, occultant l’indifférence. « Les images ont une nette corporalité même si l’homme en est globalement absent, analyse la conservatrice. Ceux qui ont pris ces photos avaient manifestement l’œil. Ils ont pu être touchés, à la manière des photojournalistes. On ne peut pas rester de marbre face à un tel spectacle. »
Jonas Cuénin
Hiroshima Ground Zero
Jusqu’au 28 aout 2011
International Center of Photography
1114 Avenue of the Americas at 43rd Street
New York, NY 10036
(212) 857-0001