Lors de ces commémorations, La Lettre vous propose de redécouvrir trois ouvrages majeurs liés au 11 septembre. Here is New York, avec son millier de photographies, reste le livre d’images le plus abouti.
Deux bâtiments crachent une épaisse fumée. Dans un dernier geste d’impuissance, un être humain fuit l’horreur. Il tombe. En bas, ses semblables sont horrifiés, le regard épouvanté, désarmés, eux aussi. Ils se couvrent la bouche pour ne pas hurler, le visage pour éviter d’y croire. Ces photographies figurent au panthéon de la mémoire collective. Elles ont défilé sur tous les écrans du monde, en boucle, ignorant leur impact et leur future longévité. Ne retenir que trois images ne serait pas déplacé mais horriblement naturel. La force de Here is New York est d’en proposer environ mille de plus, simplement pour ne pas oublier.
Ne pas oublier qu’avant de tomber, les tours étaient debout. Que leur chute a aussi été observée de plus loin. Des toits de Manhattan, où les habitants se sont serrés par les épaules. D’un pont, où un homme de dos a posé sa tête sur une rambarde comme pour observer le panorama. Des rues, où un autre, en costume, a ramassé une des innombrables feuilles de papiers jonchées au sol pour la lire. Où une femme a saisi son téléphone pour prévenir ses proches. Ces mêmes allées qui ont vu pompiers, policiers ou banquiers couverts de cette épaisse couche blanche, mélange de cendres et de poussière.
Le 11 septembre 2001 n’a pas seulement duré vingt quatre heures. Here is New York retrace immanquablement les journées suivantes. Le retour des hommes. Leurs embrassades. La solidarité et la compassion. Le photographe Gilles Peress, fondateur du projet avec le journaliste Michael Shulan, se souvient : « Le regard des gens affichait une variété de sentiments et d’attitudes : aliénation, horreur, souffrance, colère. » Au pied des murs, à même le sol, les proches de victimes ont déposé des bougies et fabriqué des autels. Les briques sont devenues des espaces pour afficher les avis de recherche des disparus. Ground Zero a été le théâtre d’un immense chantier de déblayement où se sont mêlés tous les habitants, indépendamment des fonctions et des origines. Une ville reprenait vie.
Un homme, des photographies
Here is New York est une démocratie d’images. Le projet a rassemblé indifféremment plus de cinq milles photographies de professionnels et d’amateurs. C’est en observant les new-yorkais appareils au poing que Gilles Peress et Michael Shulan en ont eu l’idée. Le photographe se rappelle : « Tout de suite, je me suis demandé : Où vont ces photos ? Que faire avec ? Nous devions engager un acte de journalisme citoyen. Devant un moment historique, cela aurait été une folie de séparer pros et amateurs. »
A première vue, l’ordre des images semble respecter la chronologie des évènements. Ce n’est pourtant pas ce qui a guidé Gilles Peress dans sa sélection. « Cette démocratie d’images devait être établie pas un homme. Je me suis d’abord attaché aux similitudes entre les catégories d’images : plus ou moins près de l’action, attitudes de témoins, différentes tonalités. J’ai créé des sections par couleurs : noir, rouge, blanc et bleu. »
Here is New York n’est pas seulement un livre mais également un lieu. Le 166 Prince Street, la galerie de Michael Schulan à Soho, a reçu des jours durant l’afflux de personnes venues se recueillir, partager leur douleur, échanger et donner leurs photographies. Les gens y ont fait la queue et de nombreux étudiants ont œuvrés ensemble avec « activisme », selon les termes de Gilles Peress. « Le succès de ce livre est venu car il regardait un phénomène collectif de manière collective. »
Dix ans plus tard, le photographe rappelle ses interrogations quotidiennes au sujet des différences de langage visuel. Dans le monde analogue du début des années 2000, la majorité des images proviennent encore de négatifs. L’avènement des nombreux outils digitaux et des médias sociaux ne sont alors qu’hypothèses. « Si cela se passait maintenant, comment gérer ce flux d’images qui flottent au dessus de nous ? Comment établir une démocratie d’images par l’image ? La tentative de Here is New York, était, en théorie littéraire française des années 60, de proposer un texte ouvert. Comment redévelopper cette notion de texte ouvert aujourd’hui au vu et au su de toutes les technologies qui sont à notre disposition ? »
Jonas Cuénin
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