Henri Huet a produit sur la guerre du Vietnam des images inoubliables, dont celle du médecin et du « marine » aux visages tous deux bandés, qui fit la couverture de« Life magazine », la bible que toute ma génération a consultée avant de partir sur le terrain.
Tous les témoignages de ceux qui ont eu la chance, que je n’ai pas eue, de le connaître, convergent : Henri Huet fut certainement le photographe le plus aimé, le plus apprécié, parce que le plus « gentleman » des professionnels en première ligne, tout en restant le concurrent le plus redoutable comme l’a raconté Eddie Adams.
Ce portrait en témoigne : certainement parce qu’il avait en lui de par sa double naissance franco-vietnamienne une sensibilité immédiate aux acteurs comme aux victimes d’un conflit qui saignait la terre de ses origines.
Dans le regard de ce Marine exténué il y a tout à la fois : une lassitude évidente mais aussi comme une parcelle d’étonnement que révèlent des yeux tout droit dirigés vers l’objectif.
Les bombardements qui pendant 48 heures n’ont cessé sur son unité en poste dans la zone au sud de la zone démilitarisée ont creusé d’anxiété voire d’angoisse cet homme… aguerri.
Casque enlevé, cheveux en bataille transpirant encore la sueur du stress vécu, front plissé et barbe de deux jours, c’est l’image apparemment banale d’un U.S. marine revenu de l’enfer au quotidien. Autour de lui « bourdonne » certainement le bruit des activités de son unité entre deux décollages ou atterrissages d’hélico ou de ce qu’il en reste dans l’attente d’une prochaine mission. Mais l’image est là qui un instant fait le « break » et instaure entre les deux hommes une vraie complicité. Celle qu’engendrent respect et estime pour être dans la même galère et partager le même sens du devoir. Comme le « Marine » simple matricule qui fait son « job » Henri Huet, soldat de l’information parmi d’autres confrères, est sur le qui-vive d’une image à ne jamais manquer. Le « marine » en toute virile connivence, semble demander à Henri Huet : « pourquoi me choisis-tu, moi? Qu’est ce qu’elle a ma gueule de plus que celle des copains ?»
Dès le moment de surprise passé de se voir « tirer le portrait », il ne cache pas pour autant une ébauche de plaisir au coin d’un sourire à peine esquissé contrastant avec la gravité de ses yeux cernés de fatigue et encavés dans ses pensées.
Henri Huet est-il à genoux face à lui ? Debout en légère contre-plongée ? Certes, de biais par rapport à son visage, oui, au 85 mm ou au 105 mm ? Seul compte le talent d’Henri qui saisit, à «l’instant décisif », cher à Cartier-Bresson, le portrait le plus signifiant d’un homme au repos révélant chez celui qui fait son « job » la part d’humanité qu’a « vue » en lui au moment de déclencher Henri Huet. Un portrait dont aurait pu s’inspirer Terence Malick pour réaliser « La ligne rouge », un des films les plus éblouissants qui soit sur la guerre.
Celle de Corée, mais les frontières géographiques de l’horreur n’entrent pas en ligne de compte quand il s’agit de condition humaine derrière l’uniforme. Ces deux hommes ont aussi leur place au panthéon de la référence : Terence Malick et Henri Huet. « La mort transforme la vie en destin » comme l’a écrit André Malraux. Depuis le 10 février 1971, date de sa disparition au-dessus du Laos, Henri Huet avait pour destin de contribuer aux lettres de noblesse du photojournalisme le plus évident : celui d’un engagement, qui nous laisse pour précieux héritage une extraordinaire leçon de photographie et d’humanité.
Alain Mingam, ancien rédacteur en chef de Gamma et de Sigma.
Jusqu’au 10 avril
Maison Européenne de la Photographie
5/7 rue de Fourcy
75004 Paris