Renommé pour son travail en Allemagne de l’Est, Manfred Paul a également parcouru le monde pour donner à voir une pluralité d’existences humaines dont découlent des images intemporelles et poétiques.
La Roumanie, l’Inde et Paris…Trois voyages et différentes facettes de Manfred Paul qui partagent cette même volonté de plonger dans des réalités autres que la sienne. Cette curiosité exacerbée le mène à la rencontre de cultures à l’identité ancrée, il photographie les humains et les signes qui la font dans des reportages qui relient ces univers à la manière de ponts. Malgré des décennies de pratique, le langage métaphorique du photographe allemand né en 1942 demeure jusqu’à aujourd’hui dans la pénombre du paysage photographique contemporain.
Éloigner l’oubli
Lors de son voyage en Roumanie en 1978, Manfred Paul immortalise les bribes d’une époque qui n’existera bientôt plus. Comme l’incarnation du temps qui passe, les portraits de jeunes enfants se confrontent à ceux des aïeuls. Le quotidien modeste, les vêtements usés, la jeunesse à l’épreuve de la réalité, l’alcool et la cigarette comme errements… Les sourires aux lèvres résonnent avec les épreuves que certains regards, pointés vers l’objectif, ne savent mentir. Des compositions classiques et précises qui racontent un temps dur et infiniment tendre à la fois, où les existences sont conditionnées par un indéracinable déterminisme social. Manfred Paul évoque avec mélancolie ce passé et préserve les femmes et les hommes dont il a croisé le chemin de l’érosion de la pensée.
Souvenirs visuels
Des amoureux derrière la vitre d’un restaurant, un jeune homme lisant son journal la cigarette entre les doigts, une femme dégustant sa glace en terrasse, les danceurs du dimanche sur les Quais de Scène, un homme qui prend soin des pigeons au Luxembourg… De Paris en 1988, Manfred Paul saisit les instants fugitifs de la vie quotidienne. Au détour des rues qui se croisent, à travers les vitrines des cafés, au cœur des passages cloutés, il capture tous ces détails évoquant une certaine douceur de vivre. Les visages détournés et les points de vue singuliers participent à gommer subtilement la frontière entre le songe et le réel. Une dimension onirique que cristallisent les images des vitrines de magasins où l’effet de double exposition procuré par le reflet du verre confond les mannequins en plastique à l’intérieur des boutiques au monde extérieur. Ces photographies de rue discrètes de Paul semblent révéler une fascination pour certains motifs dont la récurrence ancre une idée parisienne tout en se libérant de tout cadre temporel. De son œil étranger, le flâneur allemand s’empare des silhouettes, fixe les pas décidés et célèbre le romantisme avec des clichés où les éléments les plus triviaux revêtent un pouvoir allégorique.
Forme(s) d’humanité
En se rendant en Inde en 1989, Manfred Paul se frotte à un tout autre genre d’existence que son regard sensible parvient à capter avec pudeur. Ce voyage l’amène à traverser la plaine du Gange, à explorer les petites villes et à parcourir les campagnes. Il découvre alors un mode de vie et un rapport à l’existence qui lui étaient jusqu’ici étrangers. De cette Inde colorée, Manfred Paul capture en monochrome ce qui le happe sur son passage : une vache dévorée par les vautours en plusieurs étapes, les enfants qui se ruent après l’école et ceux qui habitent la rue, les éternelles réunions masculines et toujours, ces petites choses évocatrices et ces regards perçants dans lesquels on peut y lire des histoires.
Noémie de Bellaigue
“Manfred Paul : Les longs voyages – Photographies de Roumanie, Inde, Paris”
jusqu’au 31 mai 2023.
Haus am Kleistpark
Grunewaldstr. 6/7, 10823 Berlin