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Haus Am Kleistpark : Alexander Rosenkranz & Florian Merdes : Tempelhofer Feld

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Les deux artistes allemands Alexander Rosenkranz et Florian Merdes présentent une exploration multimédia de Tempelhofer Feld, le plus grand espace public du monde. Situé au cœur de Berlin, cet ancien aéroport, construit sous le régime nazi et devenu plus tard un symbole de libération, a depuis été transformé en parc urbain. Les photographes en ont fait le sujet de leur interprétation artistique à travers des horizons inclinés et des textures, créant des visions non conventionnelles. Une rencontre.

 

Pouvez-vous m’en dire plus sur vos pratiques artistiques individuelles et comment elles se complètent dans cette collaboration ? 

Alexander : Nous nous sommes rencontrés à l’école d’art de Leipzig et avons partagé un studio. Notre première collaboration était une exposition qui consistait en une salle vide où nous avons placé une photocopieuse trois jours avant l’ouverture de l’exposition. Nous avons ensuite développé l’exposition in situ à partir de ces deux éléments. La pièce avait une grande vitrine, tout comme le photocopieur a une surface vitrée. Nous avons recouvert cette vitrine de beaucoup de choses et avons ainsi rempli la surface vitrée. Nous avons ensuite imprimé une photographie de cette installation à l’échelle 1:1 à l’aide du photocopieur et l’avons tapissée sur le mur opposé à la vitrine. Rétrospectivement, je pense que c’était un très beau projet précurseur de Tempelhofer Feld.

Mon propre travail artistique a généralement une origine photo-documentaire, qui est élargie ou complètement abandonnée de diverses manières au cours du processus. Je m’intéresse à la manière dont le sens est constitué alors que l’œil n’est qu’un objectif, tandis que le reste est dirigé par l’esprit. En conséquence, tout ce que nous voyons devient fragile. Pour moi, c’est la force de la photographie. Cela m’aide en tant qu’outil à comprendre ce mécanisme humain et culturel. Je pense que c’est là que le travail de Florian et le mien se croise le plus, n’est-ce pas ?

Florian : Oui, c’est vrai. Mon travail tourne autour de la question de savoir comment les choses apparaissent dans et en tant qu’images, plutôt que de savoir ce qu’elles sont réellement. Je prends un grand plaisir à détacher la photographie d’un contexte ou d’un autre et à l’utiliser pour examiner la perception des images au sens le plus large : non seulement la perception de l’espace de l’image photographique lui-même mais aussi le monde de l’imagination et de l’imagerie qui détermine notre réalité. Pour moi, cette approche recèle un grand potentiel pour utiliser la photographie de manière constructive et créer de nouvelles possibilités, espaces et mondes visuels à partir de ce qui existe déjà.

 

Comment est née votre collaboration sur le projet Tempelhofer Feld ? Qu’est-ce qui vous a attiré tous les deux dans cet espace unique à Berlin ?

Alexander : Nous nous sommes rencontrés tous les deux à un moment de notre vie où nous manquions d’échanges artistiques. Florian avait publié son projet Steamcracker sous forme de livre au Fotohof de Salzbourg, et j’avais réalisé mon travail Gibellina Model Studies pour Images Vevey sous forme de livre et d’exposition. Nous voulions collaborer sur quelque chose ensemble. Nous étions intéressés par Tempelhofer Feld pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il est prédestiné aux collaborations, ce qui correspond à la nature de Tempelhofer Feld.

Des milliers de personnes se partagent chaque jour le site de l’ancien aéroport au centre de Berlin et créent une dynamique. D’autre part, nous avons été attirés par le défi de photographier un lieu caractérisé avant tout par l’absence de tout ce qui fait une ville, en plein centre de la ville. Comment photographier un espace vide et vaste ? Malgré son caractère unique, cet aspect ne semble pas avoir été photographié auparavant.

Florian : Nous pensions qu’il y avait beaucoup de travail documentaire et photographique sur ce lieu, mais aucun travail qui traitait du vide et de la liberté qui en découle. Ensemble, nous nous sommes lancés dans le projet avec toutes les restrictions que nous nous étions imposées. Il était très important pour nous de laisser de côté de nombreux aspects qui caractérisent Tempelhofer Feld afin d’arriver à une essence et une traduction visuelle de l’expérience individuelle de ce lieu. Nous étions donc moins intéressés par les personnes en tant qu’individus, par les bâtiments périphériques et par les beaux projets communautaires sur le terrain. Nous voulions également exclure complètement les thèmes historiques ou architecturaux dès le début. Nous nous sommes beaucoup plus concentrés sur la capture des caractéristiques spatiales de ce lieu et sur la manière dont il vous affecte dans le contexte de la ville lorsque vous êtes confronté à son vide. Avec le recul, nous n’aurions pas pu y parvenir seuls ; c’était une tâche pour nous deux.

Alexander : Dans les moments où nous ne savions pas quoi photographier, nous parlions et finalement, nous prenions une nouvelle image.

 

Tempelhofer Feld est un vaste paysage non bâti au milieu de Berlin. Qu’est-ce qui rend cet espace si spécial pour vous et comment vos œuvres expriment-elles sa particularité à la fois concrètement et métaphoriquement ?

Florian : Pour nous, ce qui rend Tempelhofer Feld si spécial, c’est le vide le plus évident entre les deux pistes. Il y a le ciel vaste, l’horizon lointain de la ville et la sensation de vivre une expérience paysagère au milieu d’une métropole mondiale, quelque chose que vous ne pouvez trouver dans aucun autre centre-ville. Le contraste des espaces et la réverbération du champ lors de la rentrée dans l’environnement urbain ressortent vraiment.

Alexander : Ce qui le rend spécial pour nous, c’est l’expérience physique du terrain. La proximité immédiate du terrain avec l’espace urbain densément bâti crée une transition brutale, la rendant particulièrement perceptible. Nulle part ailleurs à Berlin il n’y a autant de ciel ni autant d’horizon à voir. Hormis l’ancienne architecture de l’aéroport, il n’y a pas de chemins prédéfinis, pas de signalisation et pas de distractions, pas même d’éclairage public. C’est de l’espace pur. Cela représente une dimension de liberté pour laquelle Berlin était autrefois célèbre mais qui est aujourd’hui pratiquement inexistante dans les espaces urbains. Cependant, ce niveau de liberté peut aussi être écrasant.

Dans notre approche photographique, nous nous sommes d’abord concentrés sur la composition en trois parties du paysage : surface, ciel et horizon. En photographiant cette constellation sans adhérer aux concepts traditionnels de « haut » et de « bas », nous cherchions à nous libérer des conventions de la représentation du paysage. Ce genre est souvent perçu comme historique, sec et quelque peu ennuyeux, ce qui nous a séduit. Cette partie de l’œuvre est visible dans la première salle de l’exposition. La forme de la salle nous rappelle une piste d’atterrissage et les images, présentées dans des formats basés sur la taille des hublots d’avion, développent une inclinaison formelle qui correspond à la photographie. Vues de loin, les images ressemblent à des compositions graphiques, semblables aux bandelettes de test analogiques de la chambre noire. À mesure que vous vous approchez d’une image, vous remarquez progressivement les nombreux détails visibles et acquérez une impression d’immensité. Le résultat est une interaction dynamique entre l’échelle du paysage et votre propre vision de celui-ci.

La deuxième salle de l’exposition semble initialement vide. Une installation sur table vous invite à y regarder de plus près. Sur celle-ci se trouvent trois piles individuelles ressemblant à des livres photo, des objets permanents constitués d’impressions laser qui peuvent être feuilletées. On ne sait pas s’il y a un début ou une fin. Chaque double page montre différentes facettes du domaine. Le nombre volontairement écrasant d’images rend difficile la compréhension de l’ensemble de l’œuvre par le spectateur.

Dans la troisième et dernière salle, une double projection de 20 minutes accompagnée d’un enregistrement de terrain. Donnent l’impression d’un flot d’images se transformant en une expérience immersive du terrain, destinée avant tout à évoquer un sentiment de calme intérieur et à inciter à la réflexion. De grandes images couleur projetées représentent le cycle d’une année au cours de laquelle nous avons photographié le terrain.

Florian : Malgré le grand nombre d’immages présentées dans les trois salles, nous ne présentons dans l’exposition qu’une très petite partie de l’ensemble de notre collection. Nous ne cherchons pas à créer une image définitive ou figée du lieu. Cela ne lui rendrait pas justice. L’exposition doit plutôt servir d’invitation aux spectateurs à s’engager eux-mêmes dans les images du lieu et à trouver leur propre approche personnelle de celui-ci. Le domaine peut être très varié et peut être vécu d’innombrables façons. Mais en fin de compte, elle est définie par l’individu qui la perçoit. Nous avons voulu souligner cet aspect dans notre exposition.

 

Votre travail sur Tempelhofer Feld évoque des sensations de liberté et d’immensité, mais le site soulève également des questions sur le développement urbain dans une ville confrontée à une crise du logement. Quelles pensées ou réflexions cette tension entre ouverture et pression urbaine inspire-t-elle dans votre travail ?

Florian : Peut-être qu’il n’y a pas de pression pour bâtir sur le terrain. Qui vivrait sur le terrain ? À qui s’adresserait le développement ? Qui en bénéficierait ? Certainement pas ceux qui ont voté en faveur du maintien du champ lors du référendum. Il est absolument essentiel pour le développement urbain de préserver le terrain, de pérenniser et d’apprécier un espace non conçu et de rendre son potentiel accessible à la population. Un développement aiderait quelques-uns, mais le domaine ne peut à lui seul corriger les erreurs de la politique du logement berlinoise.

Le domaine interroge plutôt d’autres espaces : des espaces du centre étendu de Berlin qui ne sont pas du tout créés pour les besoins de la population. Ils sont soumis à des logiques purement économiques et ne favorisent aucune qualité de vie ni qualité de séjour. Ces espaces pourraient également être remis en question. La position d’où vient la critique du « champ vide » est d’ordre économique. À mon avis, cela ne représente pas les intérêts de nombreux Berlinois.

Si l’on regarde l’histoire de Tempelhofer Feld, il semble également absurde de remplacer un lieu aussi important et historique pour la société par un quartier réservé à quelques-uns.

 

Les photographies offrent de nouvelles perspectives sur Tempelhofer Feld, avec des horizons inclinés et un cadrage expérimental. Comment la perspective et le cadrage remettent-ils en question les visions conventionnelles des espaces urbains ?

Florian : Les changements de perception qui résultent des expérimentations et des influences aperceptives contribuent à fixer de nouveaux axes de focalisation en termes de contenu. Le vide au milieu de Tempelhofer Feld pourrait peut-être être « montré » dans quelques photographies de paysages classiques. Mais nos photos documentent bien davantage notre processus de travail sur le terrain. Il faut être là quelques jours pour se rouler au sol, photographier les herbes et la piste, tourner en rond et renoncer à l’image focalisée. En faisant cela sans réfléchir, encore et encore, vous commencez enfin à réaliser l’abondance qui est là.

 

Votre approche met également l’accent sur l’expérience sensorielle de Tempelhofer Feld à travers les détails, les textures et les couleurs. Pouvez-vous nous expliquer comment vous avez capturé l’essence sensorielle de cet espace ?

Florian : Surtout en visitant et en photographiant ce lieu à plusieurs reprises. Le travail sur Tempelhofer Feld était un processus. Ainsi, nous avons progressivement développé notre propre langage photographique pour ce lieu, un langage que nous avons formé et trouvé ensemble, ce qui a été une très belle expérience pour nous. Nous avons été fascinés par ce que l’on peut trouver dans le vide – qui, bien sûr, n’est pas du tout un vide mais plutôt une abondance de liberté.

 

Tempelhofer Feld au Haus Am Kleistpark jusqu’au 27 octobre 2024.
Haus Am Kleistpark
Grunewaldstraße 6-7,
10823 Berlin
https://www.hausamkleistpark.de

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