La National Gallery of Art présente depuis la fin de l’année dernière une rétrospective dédiée au photographe américain Harry Callahan. Un hommage éclairé, un centenaire après sa naissance.
Harry Callahan n’a cherché la lumière que dans ses photographies. C’est avec ce regard d’amateur qu’il a débuté, appris en autodidacte les secrets de la photographie, avant de devenir l’un des plus disciplinés, dévoués et innovants photographes du XXe siècle. Il faut remonter à sa naissance à Détroit en 1912 pour comprendre sa passion pour les lignes, façonnée dans le berceau de l’automobile américaine. C’est en 1938 qu’il s’achète son premier appareil photo et rejoint le club de photographie chez Chrysler Motors, où il travaille. Son approche va rapidement se tourner vers les immeubles, les gens, les scènes de rue, les vides, les paysages urbains en tout genre et ceux, parfois, des campagnes.
Lors de ses promenades, Callahan aime plus que tout jouer avec le soleil, ses reflets, la façon dont il habille le regard des hommes, les ombres qu’il crée, la délicatesse, surtout, avec laquelle il offre une âme aux édifices. Il cherche la composition parfaite, insérant dans ces briques d’ombres noires des arbres ou, avec humour, des hommes. Avec obsession, il met l’accent sur les lignes et les formes, le contraste ou la luminosité. Sur ces négatifs, il coupe les maisons en deux, le noir et blanc devient moitié blanc, moitié noir. Les hommes blancs peuvent devenir noirs, les noirs peuvent devenir blancs. Leurs corps prennent la chaleur, épousent les rayons de lumière, ou se réfugient à l’abri, derrière cette ligne qui sépare le monde en deux notions : évidence et mystère. La photographie de Callahan est le jeu d’un enfant à la poursuite des kaléidoscopes naturels que le monde anime mais que nos yeux oublient de contempler.
Même s’il préfère la distance que la proximité, Harry Callahan pose également son regard sur sa femme, Eleanor, et sa fille, Barbara. Il photographie la première un peu partout : chez eux, dans les rues de la ville, devant un paysage, que ce soit seule ou avec leur fille, en noir et blanc ou en couleur, nue ou habillée, éloignée ou en gros plan. Eleanor est une figure essentielle de son art, mais Barbara aussi. Et ce, même avant sa venue au monde en 1950 ; cette dernière « apparaît » dans des clichés mettant en scène la grossesse. Plus tard, les deux femmes sont photographiées dans des paysages où Callahan crée un contraste avec l’immensité de l’espace – parcs, plans d’eau, vue vers l’horizon –. Peu importe la modestie de la surface qu’elles occupent sur l’image, elles restent toujours dominantes dans la perception du photographe.
De la rue à l’école
Attaché aux expériences, il est aussi. L’une d’elle a été de jouer, encore, avec les techniques d’expositions multiples, double ou triple, réalisées dans l’appareil, et avec les flous ; que ce soit en petit, moyen ou grand format. Une pratique qu’Harry Callahan a, par la suite, enseigné à d’autres jeunes photographes quand il a enfilé le costume de professeur, notamment à l’Institute of Design de Chicago. Son travail restera toujours une réponse très personnelle à sa vie. A l’époque, il encourage d’ailleurs ses étudiants à faire de même en « photographiant leur vie » ; en leur montrant au travers de ses propres images. Malgré tout, l’homme n’est ni un sentimental ni un romantique. La place centrale qu’occupe Eleanor dans son œuvre doit être observée avec des pincettes, les images ne représentant ni ce qu’elle est, ce qu’elle a fait ou ce qu’elle pense. Elle fait partie intégrante d’un art qui est une longue réflexion sur les possibilités de la photographie. Dans une utilisation ludique, mais pas naïve.
» Il ne s’agit de transmettre une vision mais de toucher les gens avec mes images. » Harry Callahan n’a jamais aimé garder. Il ne laissera quasiment aucun écrit : ni journal, ni lettre, ni note sur son enseignement. De ses méthodes, on ne connaît que la flânerie du matin et ces après-midis à faire des essais de tirage à partir de ses meilleurs négatifs, pour une sélection avoisinant la dizaine de clichés par an. L’artiste sous-estimé qu’il était a néanmoins laissé un héritage de 100 000 négatifs et plus de 10 000 tirages. L’un d’eux, rare et que l’on peut aujourd’hui découvrir, est un autoportrait de 1942 dans lequel Callahan superpose ses pieds et le haut de son corps contre un paysage urbain de New York. Un cliché au détail et à la précision surprenants.
Il faudra donc garder le souvenir d’un perfectionniste comme du professeur d’une grande pédagogie, dont les enseignements et expérimentations ont valu l’admiration de ses élèves. La grande exposition que lui consacre la National Gallery of Art intervient une décennie après son décès en 1999. N’en déplaise probablement dans sa tombe à son mentor, Ansel Adams, qu’il a assisté un temps et dont la popularité dépasse encore largement la sienne.
Jonas Cuénin
Harry Callahan at 100
Jusqu’au 4 mars 2012 à la National Gallery of Art
4th St NW
Washington, District of Columbia
(202) 737-4215