La galerie parisienne Thierry Bigaignon expose 21 photographies d’Harold Feinstein prises entre les années 1960 et 1980 à New York. De ses œuvres, il se dégage l’empathie puissante et simple des flâneurs. Feinstein est de ce regard amoureux pour la vie.
Le titre mériterait surement quelques quolibets. L’évocation des joies simples est aujourd’hui le terrain des railleries. On se moque des humeurs candides. Les effusions de joie prêtent à rire. Les trop-pleins de sentiments provoquent l’ironie. Il subsiste heureusement des expositions où la poésie se lie à l’image.
Je ne sais si Harold Feinstein se voyait comme un poète. Pensait-il ce lien entre textes et images ? L’ancien curateur en chef pour la photographie du MoMA, Peter Galassi, avait trouvé ce lien chez Brassaï. Il liait la photographie à cette danse des curiosités magnifiés par les mots. Feinstein regarde l’homme ainsi. Il immortalise les joies simples des dimanches perdus dans les divertissements. Il est ce témoin des activités incessantes de la Ville. Contemporain du Brooklyn Is de James Agee, écrit en 1939 mais publié seulement en 1968, il la profusion de mille petits détails des quartiers new-yorkais observés sans lassitude.
Durant ces vingt-années, son regard devient maîtrisé. En témoigne Man Smoking a diner (1974), prise dans un restaurant de la 14e à Manhattan. Les rais de lumière inondent le visage contemplatif du fumeur exhalant, le jeu des clairs-obscurs caresse les couverts mis de côté avant de s’attaquer au café fumant. On y voit la solitude, heureuse ou non (comment savoir ?) d’un homme digérant ses pensées. Une scène simple, mille fois vue au restaurant. Feinstein a su y voir une lumière douce, être au plus près sans devenir intrusif.
Une autre œuvre. Dancers arms (1970) montre un enchevêtrement de bras fins et veineux, d’épaules arrondis. Ce sont les membres enlacés d’amis danseurs. Tous se tiennent sans se retenir. Les compositions sont rares dans le travail de Feinstein, pour autant elles évoquent des scènes naturelles. La mise en scène reste discrète. Là encore, la photographie rejoint le jeu de la fiction, fenêtre vers la réalité.
Avec Silhouette water edge (1978), Feinstein prend dans un plan large des enfants jouant sur le bord de l’écume. La scène se déroule à Coney Island, elle pourrait être n’importe où. Peu importe le lieu, le moment tient seul l’indication du marqueur. La lumière indifférencie les silhouettes. L’enfance poursuit ses jeux intemporels et fuit dans les embruns les grandes chaleurs.
Peu importe que Feinstein soit le photographe de Coney Island. Coney Island est un prétexte, le photographe y retrouve la faune de New York comme d’autres verraient en Montmartre l’expression du monde. L’importance réside avant tout dans l’attention aux scènes quotidiennes. Immortalité des petits riens, des jeux, des embrassades, des promenades, des contemplations. Immortalité des mémoires fugaces et fugitives. Il vient des envies d’énumérations. Mais à trop commenter la vie, on lui donne une forme floue. Quelques images suffisent. Elles saisissent ce que le commun remarque et oublie.
Harold Feinstein, Graciously yours
24 mai – 31 août 2018
Thierry Bigaignon
9, rue Charlot
75003 Paris