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Harley Weir – Iran – Louis Vuitton Fashion Eye

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Inspirée par l’héritage de voyage de la Maison, la collection Fashion Eye de Louis Vuitton évoque des villes, des régions ou des pays à travers les yeux de photographes de mode, des talents émergents aux légendes de l’industrie. Chaque titre de la série comprend une vaste sélection de photographies grand format, ainsi que des informations biographiques et un entretien avec le photographe ou un essai critique. Après Louis Vuitton City Guides et Travel Books, cette troisième collection présente la photographie de voyage sous un angle mode, car les photographes choisis insufflent une vision unique aux grandes villes, aux contrées lointaines ou aux destinations de rêve. 

 

La poésie iranienne parle de femmes, de jardins, de couleurs et d’étoffes. Les photos d’Harley Weir aussi. À travers cet immense pays, elle parvient à déjouer les clichés habituels réservés à son traitement : d’abord la jeunesse de Téhéran en mal d’émancipation, ensuite un archaïsme des autres territoires, suspicieux de la modernité. Pire encore, ce pays n’est parfois peint que pour ses inégalités, les quelques privilèges de la culture iranienne ça et là dispersés, histoire de combler les inaltérables attentes orientalistes. L’humilité suffit parfois devant la complexité.

Le travail d’Harley Weir parvient à poser la question de l’unité à défaut du binaire. Lors de son voyage de Téhéran à Shiraz, elle compose un tableau à plusieurs toiles et représente les visions parfois oubliées : richesse des territoires et des reliefs; structures tribales, nomades ou urbaines; générations en héritage plutôt qu’en rupture. De façon très douce, elle parvient aussi à révéler la délicate symbolique des grenades, des fleurs, des pigments et des tissus. Il faut dire que l’Iran est un pays d’ornements, l’hommage de la photographe à ces délicatesses se traduisant en son soin du détail. La place donnée au second regard redouble d’intensité dans sa volonté de révéler les invisibles. Son traitement polysémique du voile depuis le mouvement des étoffes fascine dans sa justesse politique et dans sa technique empruntée à la photographie de mode. Plutôt que de rechercher le découvert, l’invitation à voir derrière ou à côté laisse à saisir dans ce livre le récit intime d’un voyage en plus d’un travail artistique. L’introspection est visuelle et personnelle.

Dans ce cheminement entre le visible et le dissimulé se distillent de précieuses visions de l’Iran contemporain. Les sujets de la religion, du pouvoir, de la place des femmes et de leur rapport aux hommes n’est jamais traité de face ou de front. À chaque fois il s’opère d’un pas de côté ou d’un travail de profil. Cette attitude face à la société iranienne peut se lire depuis l’accueil souvent réservé à ses visiteurs : d’abord la pudeur et la fierté, ensuite les confidences et la curiosité lorsqu’est célébrée une invitation à boire le thé ou à dîner. Cette beauté de la seconde rencontre comme du second regard se ressent comme autant de liens noués sur place. Le traitement de l’intérieur, abordé avec plus de distance, permet au moins de représenter des lieux de vies comme la maison ou la mosquée sous le régime de tout ce qui se trame dans ce livre : les choses qui ne sont pas directement montrées.

La réussite de cet exercice tient aussi dans la gestion des couleurs, des ombres et des points de fuite. La photographe passionnée de mode semble parfois rendre hommage à Christo pour le drappé mais surtout à Nicolas de Staël pour ses couleurs massives et intenses, ces géométries improbables et denses. Les lignes ne répondent qu’à très peu de symétrie pour laisser à tous ces rouges, à tous ces verts, à tous ces roses, à tous ces bleus la pleine expression de leur densité. Cette mise en scène des couleurs rend à l’Iran sa grâce quotidienne, permettant de suivre cette démarche du « donner à voir » entre couleurs fantasques et détails bien cachés.

 Il n’est pourtant pas très complexe de faire de belles photos en Iran. De belles mosquées, de grands jardins et des situations sincères et improbables attendent le voyageur ébahi. La sensibilité d’Harley Weir tient aussi dans sa capacité à s’approprier des lieux que chaque visiteur peut dépeindre joliment, car la beauté est là. Sous son oeil, la tour du Silence devient un trou simplement symétrique, la mosquée de Yazd un monument kitsch ou une faille de Perspolis une évocation sexuelle. L’appropriation de l’espace est total, le jeu avec la lumière et ce qui lui est donné quasi espiègle, sachant qu’un photographe en Iran travaille souvent sous surveillance.

Une chose rassemble le voyageur et l’autochtone en Iran, la question « comment vit-on chez vous ? ». Posée de manière visuelle, elle prend une autre tournure dans le traitement des personnes. Parfois lors de tranches de vies, à l’intimité simple, la représentation du mouvement se met en jeu. Ici les gens prient, marchent, rient ou fument. Ils ne posent qu’à moitié car ils sont déjà occupés à autre chose, à leurs activités ou tout simplement à vivre. À la contribution du visible et de l’invisible se conduit aussi la réflexion sur l’immobile et le mouvement. C’est un ventre à l’air, une main ou un pied qui marque cette tension. La photographe semble succomber à l’admiration, et sans affirmer une démarche féministe, les femmes tiennent une bonne place, énième témoignage de ce voyage et de son introspection.

Dans ce travail qui pose les ressorts l’unité iranienne autrement, de façon paradoxale sur la mesure des frontières internes entre ce qui est visible ou non, il reste cependant l’objet d’une frustration. Avec un itinéraire Nord-Sud (Téhéran-Shiraz), le rapport de l’Iran à ses frontaliers n’est que trop peu traité. La diagonale Est-Ouest demeure pourtant déroutante de choses cachées et évidentes, de mélanges culturels et de détails précieux. Une occasion de produire de nouveau un bel ouvrage ? La qualité de l’édition Louis Vuitton avec son rose de fleurs pâles en couverture, ses clichés glacés délicatement imprimés, sa succession parfaite des images comme pour inviter au voyage, appelle à la suite. Après la lecture de ce livre, Harley Weir peut tout de même rassurer sur ses intentions, elle n’a pas encore fini de poser son regard sur cette région.

Rémi Baille

Directeur de publication de la revue L’Allume-Feu.

 

https://us.louisvuitton.com/eng-us/products/fashion-eye-iran-nvprod1270428v

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