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Hangar Bruxelles : UNIQUE Beyond photography

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Unique – se réfère à la fois à l’unicité des œuvres d’art et à la recherche qui a conduit à leur créations. Le travail de 21 artistes offre au moins autant d’approches originales.

La photographie est omniprésente et tout le monde est photographe. Tout le monde possède un appareil photo de haute qualité, et tout et tous sont photographiés. Mais chaque évolution sociale a un contre-mouvement.

Avec l’introduction vers 1890 d’appareils industriels bon marché et l’essor de la photographie amateur, un groupe de photographes amateurs s’est opposé à ce mouvement et a commencé à expérimenter un nouveau langage visuel et de nouvelles méthodes d’impression – les pictorialistes ont cherché à se rattacher au symbolisme. Vers 1920, la reproductibilité est remise en question : une œuvre d’art ne doit-elle pas être unique ? Et n’est-ce pas la jeunesse qui, vers 2000, préférait le Lomo ou le Polaroïd à l’appareil photo de son téléphone portable ?

C’est dans ce sens que l’on peut voir l’exposition Unique. 21 photographes, dont la moitié a moins de 40 ans et ont pour base la Belgique, ils s’interrogent sur les perspectives de la photographie. Ils élargissent les possibilités de la photographie analogique, glanent ce qui est utile dans la technologie numérique, expérimentent avec les procédés non argentiques, avec la colle et les ciseaux, les dimensions, le sens et la signification, les cadres d’image et le stylo de retouche… Dans l’exposition, on passe d’une surprise à l’autre – il vaut donc la peine de voir les œuvres de Nicolas Andry ; Pepe Atocha ; Sylvie Bonnot ; Aliki Christoforou ; Dana Cojbuc ; Antoine De Winter ; Gundi Falk ; Marina Font ; Lior Gal ; Audrey Guttman ; Romane Iskaria ; Morvarid K ; Kíra Krász ; Douglas Mandry ; Alice Pallot ; Raphaëlle Peria ; Luc Praet ; Anys Reimann ; Stephan Vanfleteren ; Laure Winants ; Vincent Zanni !

Cela nous mènerait trop loin de parler de tous ces artistes, c’est pourquoi nous nous limitons à 9 d’entre eux, un choix basé sur des facteurs très divers. Des paysages chaotiques qui traversent littéralement le cadre (Dana Cojbuc) ; une recherche sur l’impact des algues toxiques sur l’environnement marin (et les humains) (Alice Pallot) ; la position sociale et la perception d’une femme de couleur redéfinie dans des collages brutaux (Anys Reimann) ; le besoin de se refléter à travers l’intelligence artificielle combinée aux plus anciens procédés photographiques (Antoine De Winter) ; jongler avec le sens des mots étiquette (règles de conduite), étiquette (plaque signalétique) et étiquette (étiquette adhésive) (Kíra Krász) ; l’approche ludique de l’image et de la technique pour créer des sculptures (Audrey Guttman) ; des réflexions poétiques sur les grandes catastrophes naturelles – ou comment appréhender la vie et la mort (Morvarid K) ; l’amour pour la fragile forêt tropicale (Pepe Atocha) ; l’acte presque inutile de vouloir s’accrocher au passé dans une image photographique, et d’accepter l’éphémère (Vincent Zanni).

Le Catalogue

Le catalogue, joliment publié, est hautement recommandé, tant sur le plan de la forme que du contenu.

Une reliure à spirale a été choisie, et tout au long de la publication, on joue avec la taille des caractères, la typographie et le papier (de chaux). L’ensemble met à nouveau l’accent sur le concept d’unicité. Sur le plan du contenu, la publication décrit chacun des projets, complétés par une biographie détaillée. Une critique s’impose : un peu plus d’images auraient été les bienvenues.

Pour ceux qui souhaitent documenter certains des derniers développements en matière de photographie, cet ouvrage est indispensable. À commander via l’e-shop de Hangar, d’autres informations concrètes se trouvent à la fin de la contribution.

Pepe Atocha (PE, 1976), vit et travaille à Tarapoto, en Haute-Amazonie (PE). L’inconscient des plantes médicinales, 2023 – 2024

Les plantes communiquent entre elles et avec leur environnement. Elles ne sont pas des êtres inanimés, elles utilisent de la lumière et les processus chimiques pour se nourrir, communiquer et interagir avec les animaux. L’approche de Pepe Atocha de cet univers particulier, passe par la photographie analogique, car elle utilise, comme les plantes, la lumière et des processus chimiques pour atteindre ses objectifs.

Dans cette série, Pepe Atocha a travaillé avec la flore de l’Amazonie péruvienne, fusionnant chaque plante avec son environnement sur des photographies prises en double exposition, sur lesquelles il intervient alors de manière intuitive : dessinant des points et/ou des lignes qui symbolisent le mouvement des insectes et la fluctuation de la chimie qu’ils émettent. Le fait que nous ne le voyions pas ne signifie pas qu’ils n’existent pas, le visible n’est qu’une partie de la réalité.

Texte rédigé en collaboration avec Alejandro Castellote, commissaire de l’exposition.

Dana Cojbuc (Roumanie, 1979), vit et travaille à Paris (FR). Strange place for sunrise, 2023-2024

Quelle empreinte reste-t-il de nos souvenirs une fois la mémoire passée par le prisme du temps, de la subjectivité et des chimères ? Strange place for sunrise est né de l’envie de garder le souvenir d’un lieu, de se jouer des présences comme des absences, de prolonger le sensible par l’imaginaire pour réinventer une promenade immersive, oscillant entre réalité et fiction.

Ce projet prend racine dans la réalité et la matérialité d’un endroit en Roumanie, un endroit cher à la photographe. Dana Cojbuc intervient sur ses œuvres par le dessin, prolongeant et interprétant la photographie au-delà du cadre de l’image et créant entre différents espaces de nouveaux liens. Le prolongement du réel par le dessin permet aux spectateurs d’entrer dans le domaine de l’interprétation et de prolonger, à leur tour, l’œuvre immersive par leur propre imaginaire. Le paysage se fait alors sanctuaire, îlot de refuge et d’isolement salutaire. Dans un désir de sortir de la bidimensionnalité pour créer une œuvre complète, des projections colorées, telle une lanterne magique de cinéma, viennent habiller et mouvoir l’œuvre de reflets bleus. Suggérant à la fois le ciel et l’eau, la lumière bleue confère à ces scènes une aura féerique et irréelle, renforçant ainsi l’expérience de contemplation poétique offerte par Strange place for sunrise.

Extrait d’un texte d’Éléonore Simon

Antoine De Winter (BE, 1985), vit et travaille à Bruxelles (BE). Followers, 2024

Followers est une exploration de la production des images et de leur résonance émotionnelle qui se mêle harmonieusement à une réflexion sur la représentation de l’égo dans l’ère numérique. Antoine De Winter plonge dans les thèmes de la transience, de l’humanité et de la contradiction à travers la photographie, tout en sondant les profondeurs de la sacralisation de l’image et de l’ego dans notre société actuelle.

Followers nous transporte dans un voyage temporel, nous invite à réfléchir aux origines des images et à leurs méthodes contemporaines de production. En combinant la génération de portraits par intelligence artificielle à leur transposition via des procédés argentiques anciens, Antoine De Winter jette un pont entre passé et présent. La série Followers nous pousse à repenser le pouvoir des images, à évoquer des émotions et à façonner notre perception du monde. Elle met en lumière la complexité de la relation entre la production d’images et l’utilisation iconique des représentations de soi dans les réseaux sociaux, tout en nous invitant à méditer sur l’impact profond et souvent insaisissable de ces derniers sur notre compréhension de nous-mêmes et de notre réalité.

Extrait d’un texte d’Éléonore Simon

Audrey Guttman (BE, 1987), vit et travaille entre Paris (FR) et Bruxelles (BE). La femme 100 chambres, 2021-2023

« C’est une femme, seule, dans une chambre. Mais l’est-elle, en vérité ? Difficile à dire : elle glisse d’une image à l’autre, s’échappant dès qu’on s’en approche. Sa silhouette mutine s’imprime sur un napperon ancien, puis réapparaît, de profil, dans un collage énigmatique.

Elle s’échappe d’une séance photo, ne laissant à sa place qu’une tache de lumière vive, puis s’allonge sur une pierre calcaire qu’elle réinvente en lit. La voilà qui danse : vite, captons le mouvement déluré de ses cheveux, sur un papier laissé quelques instants au soleil. Par le trou de la serrure, la revoilà : grimace-t-elle d’extase ou de chagrin ? Le sait-elle elle-même ? Tiens, une horloge : elle insiste, oui, même le temps est fongible dans la rêverie. Dans ce jeu de cache-cache entre l’ombre et la lumière, entre l’image et son simulacre, elle joue et nous invite à jouer avec elle. Et à jouer avec l’idée même de réalité, qui est, peut-être, le seul sujet de la photographie. »

Morvarid K (IR, 1984), vit et travaille à Bordeaux (FR) et à Berlin (DE). This Too Shall Pass, 2022-2023

Accablée par les images des incendies en Australie en 2019 et 2020, Morvarid K ressent
le besoin impérieux de s’y rendre. Elle y voit des paysages statiques, silencieux, vides, et constate l’absence écrasante de vie. Débutée en Australie en 2020 et poursuivie en France en 2021 et 2022, la série This Too Shall Pass questionne la complexité de la perception humaine, le mécanisme d’ajustement qui nous permet d’apprivoiser le brutal, le destructif, de rendre supportable le Thanatos.

Le projet se divise en trois temps : la persistance du passé qui relate
la difficulté première à accepter la destruction causée par le feu ; la trace du présent, le moment de prise de conscience et le souhait d’être au plus près de la problématique pour mieux la comprendre ; et, enfin, le tissage du futur, le moment où le sujet glisse en arrière-plan et notre attention se tourne vers d’autres choses, bien que les méga-feux persistent. A la première vue de ce paysage dévasté, une sorte de déni s’installe, caractérisé par une compensation visuelle, une persistance rétinienne rassurante remplaçant le noir par du vert. Un tissage mental qui s’estompe pour laisser transparaître le réel. C’est alors le temps de prendre la mesure des choses, d’en recueillir une trace tangible par le corps à corps. Morvarid K recueille les empreintes charbonneuses de troncs d’arbres calcinés en les enveloppant avec des risographies monochrome de photographies prises in situ. La voix silencieuse des arbres se mêle alors à son écriture photographique. Vient enfin le temps de la banalisation du sujet qu’illustre l’utilisation de fragments photographiques aux contours brûlés, représentant des écorces d’arbres vivants. Dans ce corpus, cet amas dense est annonciateur et dénonciateur de l’intensification des feux. Les contours brûlés et la disparition progressive de l’image au profit d’un espace vide et blanc, soulignent la destruction des forêts, ainsi que l’estompement du sujet dans nos esprits.

Kira Krász (HU, 1995), vit et travaille en Hongrie. Etiquette, étiquette, 2023-2024

Kíra Krász explore la relation mystérieuse entre l’étiquette (culture comportementale) et l’étiquette (en papier). Louis XIV, le roi de France, fut le promoteur de l’étiquette sociale, la bienséance, dans sa cour, chacun devait se conformer à certaines règles établies. Selon la rumeur, à la demande du jardinier, les premières étiquettes attiraient l’attention sur le chemin à emprunter dans le jardin afin d’éviter de marcher sur l’herbe.

La table dressée par le Roi Soleil était ornée de serviettes pliées. Les domestiques maîtres de l’art du pliage apprenaient à plier les serviettes de 25 manières différentes. Ce chiffre 25 devient ainsi un nombre magique dans ce travail. Dans la première partie du projet, il correspond aussi au nombre d’images présentées dans l’installation composée d’étiquettes imprimées. Certains aspects de l’étiquette sociale établie à cette époque sont déjà obsolètes, mais d’autres régissent encore aujourd’hui notre vie sociale. Dans la deuxième partie, le chiffre 25 disparaît car « l’étiquette » évolue constamment, se façonnant et s’adaptant aux circonstances de la vie. Les œuvres de Kíra Krász aux couleurs pastel incarnent ce changement ; elles sont une représentation de cette transformation. Alors que les 25 pliages font tous partie d’un ancien système strict, les croisements sont beaucoup moins contraignants. Ils peuvent être plus rebelles et individualistes, faisant écho aux traits de leurs ancêtres. L’impression des photographies des serviettes pliées sur des étiquettes colorisées permet de déconstruire et de mélanger ces structures.

Alice Pallot (FR, 1995), vit et travaille entre Paris (FR) et Bruxelles (BE). Algues maudites, essential photosynthesis, 2024

Après le premier chapitre de la série Algues maudites, a sea of tears, Alice Pallot continue de s’intéresser à la problématique environnementale et sanitaire de la prolifération des algues vertes dites toxiques dans les Côtes-d’Armor en France. Dans un nouveau volet photographique et expérimental, présenté pour la première fois au Hangar, Algues maudites, essential photosynthesis s’intéresse au réchauffement climatique et donc aux rayonnements du soleil qui est l’une des causes principales de la prolifération des algues vertes dans la Baie de Saint-Brieuc.

Comment rendre visible le rayonnement rouge du soleil qui contribue à leur développement ? La photographe élabore, sur le terrain, avec l’aide de scientifiques de l’Université de Rennes 2, un dispositif de lumières artificielles laissant apparaître l’unique spectre lumineux rouge du soleil utilisé par les algues pour faire leur photosynthèse. Alice Pallot dévoile une série d’images uniques d’écosystèmes menacés par la putréfaction des algues, dans un contexte où la crise environnementale est devenue une problématique majeure. Pendant 2 à 3 semaines, Alice Pallot a fait pousser des cultures d’algues sur les tirages photographiques, ce procédé nous fait vivre l’expérience d’une toxicité anthropique non visible dans le milieu naturel qui s’imprime sur le tirage photographique et devient le substrat des algues.

Anys Reimann (DE, 1965) vit et travaille à Düsseldorf. LE NOIRE DE…, 2023

Inspirée par l’héroïne féminine du film éponyme : La Noire de … datant de 1966, réalisé par l’auteur, poète et cinéaste ouest-africain Ousmane Sembene. «Dans ma version de l’histoire de cette femme qui ne voit d’autre échappatoire que de réclamer sa liberté et son autonomie à travers le suicide, elle laisse transparaître toute sa colère, sa résistance et son attitude, reflète et même s’approprie ‘la blancheur’, rejetant toute certitude, y compris avec le pronom masculin.» – Anys Reimann

INCARNAT (Love Circle), 2024

Il s’agit de la complexité des expériences intersectionnelles, des attributions externes et/ou de la fétichisation, de mettre en lumière les lacunes des concepts culturels centrés sur l’Occident et de nuancer une lecture unilatérale. Les œuvres d’Anys Reimann oscillent entre dissolution et personnification. Contrairement au terme utilisé en histoire de l’art, elle utilise le terme technique INCARNAT pour décrire le teint de peau de couleur chair pour toutes les couleurs de peau. Loin des affiliations basées sur l’origine, la prédisposition génétique ou la socialisation des individus, l’accent est mis sur les négociations fluides de l’identité. Au-delà des caractéristiques personnelles et des traits physiques et de leur signification attribuée, l’accent est mis sur l’individu, ainsi que sur le processus de devenir lié les uns aux autres, d’être connecté, et sur la sensibilité, l’intimité et la proximité physique.

Les journées grises et humides se métamorphosent en rivières arc-en-ciel qui taillent la réalité en pièces,
en nouveaux éléments pour les rêves,
en histoires aux discours inédits
Corps, structures appartenant à la nature,
Croissance, magie, émergence de nouvelles personnalités, images du passage de l’oiseau
et êtres dans des postures étranges

Anys Reimann

Vincent Zanni (CH, 1995) vit et travaille à Amsterdam (NL). La Maison, 2023

Vincent Zanni explore le potentiel de la photographie à travers une rigoureuse méthodologie analogique. Il combine des techniques traditionnelles et contemporaines telles que les cyanotypes et le collodion humide pour mettre en valeur l’importance du processus et des matériaux utilisés dans son travail. Dans ses récents projets, La Maison et Sights of Unary, il étudie l’importance des archives familiales et des souvenirs, en examinant l’interaction entre l’image et l’impact sur la société. En s’immergeant dans ses propres archives familiales, il interroge le concept de permanence en photographie et explore sa nature évolutive.

Vincent Zanni suscite la réflexion sur les dynamiques toujours changeantes de la mémoire, de la perte et du patrimoine familial, repoussant les limites des pratiques conventionnelles. Son approche expérimentale en chambre noire et son exploration des archives familiales contribuent au dialogue continu sur le potentiel transformateur de la photographie dans la société contemporaine. À travers la matérialité et la nature changeante de la photographie, il aspire à explorer la relation entre les images, les souvenirs et la structure évolutive de nos vies. Fruit de la cristallisation de ces recherches, les quatre bassins de La Maison viennent recevoir quatre étapes d’un travail de deuil sur la maison de la grand-mère de l’artiste : les archives de 1920, la chambre de sa grand-mère, la maison vidée vue de l’intérieur, puis de l’extérieur. Un cinquième temps viendra clôturer la série : la destruction de la maison en 2024. Ces témoignages visuels fixés sur gélatine et immergés dans les bassins rappellent que les souvenirs, comme la maison, ne tiennent qu’un temps avant de se désagréger.

John Devos

[email protected]

 

Hangar Bruxelles – UNIQUE Beyond photography jusqu’au 8 juin 2024

18 Place du Châtelain, Kasteleinplein 18
1050 Bruxelles – Brussel
Belgique
tel. 32 (0)2 538 00 85
contact (ad) hangar.art

Ouvert de Mardi à Samedi de 12:00 à 18:00

 

Le catalogue Unique – Au-delà de la photographie est une publication à couverture souple publiée par Hangar
Anglais – Français – Néerlandais
Edition limitée à 300 exemplaires
19 x 24 cm
172 pages
2024
https://www.hangar.art/e-shop

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