Hamiltons Gallery présente l’exposition ‘South Americana’ présentant des œuvres nouvellement produites par Mario Testino. L’exposition met en lumière des images du projet en cours de Testino ‘A Beautiful World’ qui explore les traditions culturelles et les symboles des peuples du monde entier.
Un Essai sur ‘South Americana’
écrit par le spécialiste, curateur et écrivain Matthieu Humery.
De quoi procède les images photographiques et de quoi sont-elles le reflet? Sont-elles honnêtes ou de manipulations savantes ? Sont-elles du commerce ou de l’art ? Et plus généralement, quelle finalité se donnent-elles? Au fond quelles fonctions leur sont-elles assignées ?
Les réponses concernant le travail de Mario Testino relevaient jusqu’à maintenant des assertions sans ambiguïté rangeant sa production du côté du commerce. Mais c’était avant ; avant que Testino prenne un virage dans une profession faite de beaucoup de prétendants en quête de couvertures de grands magazines et de campagnes publicitaires mondiales.
L’autre question qui s’est posée à Testino a été salvatrice et d’une grande honnêteté : que photographier de plus après avoir été le miroir des flamboyantes années 90 ? Vers où s’orienter quand, dans le sillage d’un Helmut Newton et avec la complicité d’une Carine Roitfeld, on a perfectionné l’art de la transgression d’un « porn chic » jusqu’à son point limite? Il semble que dans son domaine, Testino n’ait plus eu de preuve à fournir. C’est comme s’il avait été au bout d’un chemin et qu’après les Rolling Stones, Madonna ou Lady Di il était devenu difficile de poursuivre avec les stars de la télé-réalité ou les influenceurs du moment. Une page devait être tournée et il fallait désormais laisser au temps un travail d’historicisation et de recul nécessaire pour voir ce qu’il fallait finalement en retenir.
Ce virage est comme un renouveau qui prend la forme d’un retour aux sources. Il a conservé cet appétit de « faire des images » dans une sorte d’allant vital qui semble ne plus le quitter mais cette énergie est désormais vouée à la restitution de ce qui le préoccupe le plus : ses racines et sa culture sud-américaine. Il a fait le choix d’un retour au pays natal comme un Aimé Césaire en Martinique dans les années 30, pour s’interroger sur son identité péruvienne ( il est né à Lima d’un père Italien et d’une mère Irlandaise ), identité qu’il fantasme autant qu’il observe. Il témoigne alors de la richesse et de la sophistication de cette culture à travers des images tirées du fond culturel andin avec ses gauchos ou ses huachos, ses habits colorés comme ces chullos que l’on porte fièrement, ses peuples des montagnes aux rites extraordinaires, cette flore tropicale du bord de mer ou celle qui recouvre les hauts plateaux d’altitude où domine une grande variété de cactus, des éléments encyclopédiques à la fois pop et méditatifs qui composent chez lui un catalogue ethnologique esthétisant.
Il est évidemment primordial d’avoir dans le rétroviseur la carrière de Testino des années 90 pour mieux apprécier la fraîcheur presque naïve de sa photographie actuelle qui accumule beaucoup d’images et de séries comme-ci ce dernier se donnait une nouvelle ambition dont il sait qu’elle lui demandera beaucoup de temps et d’énergie pour en venir à bout.
En attendant, il rénove sa vision photographique non pas en ajoutant quelque chose à celle qu’il pratiquait jadis mais davantage en la dépouillant et en l’essentialisant. Il fait ainsi ressortir la nature primale et dépouillée de ces sujets en les rendant immédiatement reconnaissables. Sa pratique revendique une épure et une simplicité dont on peut spéculer que si elle était poussée davantage, elle irait peut-être jusqu’à l’abstraction ( véritable tentation ) comme avec ces gauchos en ombres chinoises qui évoquent des idéogrammes posés sur des « back drops » hollywoodiens ou comme avec ses natures mortes de cactus qui convoquent Karl Blossfeld, Giorgia O’Keeffe ou les images conceptuelles de désert de Richard Misrach donnant une palette de formes organiques et anthropomorphiques sur d’autres fonds de couleurs.
Le travail se révèle, comme chez un Irving Penn, tout à la fois documentaire, esthétique, poétique et visuellement très efficace liant son travail actuel avec la précision photographe de mode qu’il était, soumis, au-delà de la culture du résultat, à une règle du jeu simple : plaire.
Dessinant aujourd’hui, après de nombreuses décennies, un arc créatif solide et généreux Mario Testino peut répondre à sa manière et d’une façon originale aux questions que pose la photographie. Non pas qu’il réponde de manière absolue aux questions qu’elle pose mais il nous invite à la fois à réfléchir à la fluidité de la pratique qui va chez lui d’une photographie globalisée à un travail dépouillé et intimiste, et à considérer non pas l’image uniquement dans son autonomie mais aussi dans un historique qui s’invite à chaque lecture. Ainsi, sa production actuelle prend un sens particulier lorsqu’on articule autour d’elle l’idée de contraste, de contrepoint, de complémentarité. Cette prise en compte enrichit considérablement une vue globale où il nous ait désormais autorisé d’aller chercher, dans un va-et-vient entre le présent et le passé, ce qui se cache d’artistique dans la production d’un «image-maker » et ce que la production personnelle, non loin du journal intime, garde la force et d’intensité du parfait « contributor ».
Matthieu Humery, 2021
Mario Testino : South Americana
3 Novembre 2021 – 8 Janvier 2022
Hamiltons Gallery, London.
13 Carlos Place
London, W1K 2EU