Cinq volumes forment l’impressionnante édition de ces œuvres complètes, publiées par Steidl. Il n’en fallait pas moins pour rendre justice et hommage à la vie du photographe unique qu’est Gordon Park. Le premier volume couvre la période qui va de 1942 – date à laquelle il a acquis son premier appareil photo –, à 1948, lorsqu’il a été engagé comme photographe permanent par le magazine Life, devenant ainsi le premier photographe afro-américain à travailler pour un périodique américain grand public.
Né à Fort Scott dans le Kansas, zone de l’Amérique Jim Crow que Parks appelait “la Mecque de la bigoterie”, il réussit à commencer à gagner sa vie suite à une série de coups de chances. Ses premières photos, dans le Volume 1, sont le fruit de son travail pour la Farm Security Adminstration (le même corps de gouvernement qui a employé Walker Evans et Dorothea Lange), qui inclut le cliché aujourd’hui célèbre d’une femme de ménage afro-américaine tenant un balai et une serpillère devant le drapeau américain.
Une fois établi chez Life (le Volume Deux couvre ces premières années, 1947-63), Parks a pu trouver l’équilibre entre les commandes grand public pour le prestigieux magazine et les projets nourris par son souci de la condition noire. Seul un photographe non blanc pouvait gagner la confiance des gangs de Harlem lorsqu’il a persuadé Life de diriger un article sur les guerres de rue qui faisaient rage dans le quartier, à la fin des années 1940. Certaines de ses photos dans le style de Weegee sont brutes et choquantes, tandis que d’autres transcendent cet aspect photojournalistique qui rappelle les tabloïds, pour capter des instants de réflexion sombres et montrer la dure réalité sociale à laquelle les jeunes hommes noirs devaient alors faire face dans leur contexte économique défavorisé.
Parks atteint son meilleur lorsqu’il raconte en images des histoires de crime, de pauvreté, de ségrégation, de célébrités – le Volume 3 (1956-1965) couvre un bon nombre de ses essais photographiques pour Life, ses éditeurs le laissant développer ses propres méthodes de travail. Il a également pris des photographies en couleurs dès le milieu des années 1950, tout en gardant le noir et blanc pour ses portraits étonnants de Muhamed Ali (entre 1966 et 1970), de Malcolm X et des Black Panthers. Ces photos se trouvent dans le Volume 4 (1952-1980), aux côtés d’autres qui expérimentent les possibilités esthétiques de la couleur. Ces photos pré-William Eggleston lui ont en effet permis de saisir comment la couleur pouvait rendre compte d’atmosphères et d’états d’esprit, jusqu’à atteindre presque l’abstraction.
Le dernier volume de cette édition scientifique est dédié au magazine Life et au photojournalisme, qui a permis à Parks de gagner sa vie jusqu’à ce qu’il quitte le magazine en 1970. Par un agencement puissant des textes et des images, ses articles prenaient vie de façon inédite. Son travail a en outre permis à Parks de voyager dans le monde entier, étendant son propre horizon comme celui des millions de lecteurs du magazine, et développant progressivement sa maîtrise de la grammaire photographique. Grâce à l’influence de son succès, il a pu rédiger régulièrement le reportage qui accompagnait ses photos, accomplissement rare à l’époque pour un photographe employé par un magazine.
Ouvrage approfondi et magnifique, Gordon Parks: Collected Works Study Edition (Gordon Parks : Édition critique de ses oeuvres complètes) devrait sans aucun doute faire connaître l’oeuvre de Park à un large public et offrir à ceux qui en sont déjà familiers une opportunité sans précédent d’apprécier et de célébrer sa réussite en tant que grand photographe.
Sean Sheehan
Sean Sheehan est auteur spécialiste de la photographie.
Gordon Parks : Édition scientifique de ses oeuvres complètes
Publié par Steidl
125€
www.steidl.de