Felix Heyes et Benjamin West du collectif King Zog’s ont eu l’idée de collecter manuellement la première image qui sortait sur Google Images des quelques 21 110 mots du Oxford English Pocket dictionnary pour leur projet de fin d’études de la Saint Martins School, prestigieuse école d’art londonienne. Ils les ont ensuite assemblées et rangées les unes à la suite des autres. Ah! Les longues nuits blanches et absurdes à penser qu’il est normal de classer des images par ordre alphabétique. Et pourtant.
Ce mois-ci, la maison d’édition Jean Boîte édite le prototype hors norme de ce dictionnaire tout en images à mille exemplaires. Ce livre s’appelle « Google Volume One ». Ses deux éditeurs David Desrimais et Mathieu Cénac ont créé un logiciel leur permettant de collecter au même moment les premières occurrences de chaque mot – celles qui ressortent le plus-, collection réalisée lors d’un weekend en septembre dernier. Ils ont ainsi dressé un état des lieux, représentation visuelle des mots par Google à un instant T. Les occurrences sur Google étant en perpétuelle évolution, l’éventuel volume deux ne sera donc pas le frère jumeau de cette première édition. D’ailleurs, ce volume One est différent du prototype réalisé par les deux étudiants il y a deux ans.
Ce pavé de 1328 pages n’est pas qu’une accumulation irréfléchie d’images sans lien les unes avec les autres, ni un marathon visuel pour geeks insomniaques. Sur le fond, il explore des thématiques qui sont intrinsèquement liées aux mutations numériques.
D’une part, l’appropriation de contenus trouvés sur le web et ré-assimilés dans une oeuvre artistique est devenue monnaie courante. Il y a deux ans aux Rencontres d’Arles, dans l’exposition From Here On, Clément Chéroux, Erik Kessels, Joan Fontcuberta, Joachim Schmidt et Martin Parr, comissaires 2.0., ont présenté un ensemble d’oeuvres photographiques ayant pour matière première l’imagerie trouvée sur le web. “Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme” aurait pu être le slogan de cette collection d’oeuvres visuelles qui appliquent à la lettre une philosophie écologiste de recyclage de l’image pour créer de nouvelles choses. – On trouvait d’ailleurs dans cette exposition John Rafman et ses vues insolites sur Google Street View et Marco Bohr et sa compilation désopilante de photos de Kim Jong Il, deux artistes édités par Jean Boîte -.
D’autre part, cette surabondance, ce trop-plein d’images trouvées sur Internet et son hyperaccessibilité ont complètement désacralisé notre rapport à l’image. Feuilleter dans ce livre lourd comme un bottin, ces quelques 20 000 images collées les unes aux autres donnent une sensation physique de cette profusion. Ça piquerait presque les yeux.
Les images enfilées à la suite, sans aucune indication exprime aussi ce nivellement des valeurs, phénomène qu’on retrouve sur Internet. Il n’y a plus aucune différence entre l’oeuvre d’un artiste, un schéma d’instruction ou la photo d’un produit vendu en ligne. Ils sont tous à égalité dans cette grande foire qu’est Google Images. Sur une même double page du dictionnaire, un portrait de Dolly Parton un peu bouffie à côté de quelques billets verts et d’une photo d’un docteur sortie tout droit des meilleures banques d’images aseptisées. » La pauvre Joconde, elle se retrouve à côté d’un dessin d’une maladie de peau! » compatit David Desrimais dans un élan de soutien à l’icône italienne. Seule sur son mur au Louvre, Internet l’a bien mal accompagnée. Les temps changent Mona Lisa…`
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