Giorgio Armani est un nom bien connu, presque une légende du monde de la mode et même au-delà. Il a toujours été intéressé par le rôle crucial joué par les images et la photographie pour promouvoir son travail et son style à travers le monde. L’Œil de la Photographie vous livre un entretien avec lui sur ce sujet.
Depuis des dizaines d’années, le nom Giorgio Armani rime avec élégance et style. Je crois qu’il faut pour atteindre ce statut une grande sensibilité esthétique et une créativité assurée. Quel a été (et est encore) le rôle de ces deux facteurs dans la création de vos collections ?
En mode comme dans tous les domaines artistiques, la créativité et une certaine sensibilité esthétique sont d’une importance capitale. Sans elles, il n’y a pas d’idée, pas de message, pas d’histoire. Et mes collections ont toujours suivi ces impulsions.
La créativité et le sens esthétique permettent d’aborder la réalité avec une vision plus profonde ; peut-on dire que ces éléments font partie des raisons qui vous ont conduit vers la photographie ?
Une photographie raconte une histoire et transmet des émotions. Je suis inspiré par la photographie exactement de la même manière que je suis inspiré par la vie, tandis qu’elle se déploie autour de moi. Une personne créative ne peut pas et ne doit pas vivre isolée de la réalité, mais plonger droit dedans, saisir son essence et la transformer à sa manière. C’est la réalité elle-même, et par le fait, les photographies qui parviennent à la représenter, qui offrent les idées créatives les plus intéressantes.
Est-il possible de discerner un lien entre votre expérience en tant que jeune photographe (capable d’appliquer ou d’enfreindre sciemment les “règles” de la composition) et celle de designer dont la vision novatrice a réussi à révolutionner les éléments stylistiques de la mode ?
La photographie, ainsi que le cinéma, sont les formes artistiques dont je me sens le plus proche. Je suis persuadé que c’est une intuition innée, affinée par l’expérience. Je n’ai jamais été photographe professionnel, mais ma façon de penser et de voir le monde a donné naissance aux méthodes et règles précises que j’applique à chaque discipline à laquelle je m’adonne, que ce soit la photographie ou la mode.
Quels ont été les moments les plus intéressants de votre expérience en tant que photographe ? Et quels sont les photographes qui vous ont inspiré ?
Je ne prends pas vraiment de photographies, mais j’entretiens un lien étroit avec ce médium, qui est devenu un outil majeur pour transmettre mon travail. En photographie, j’aime un style assez direct, capable de montrer la relation particulière entre le photographe et les idées qu’il exprime. Et les images de Larry Fink transmettent cette émotion. Dans The Beats and the Vanities, actuellement accrochée à Armani/Silos, on a l’impression d’être en sa compagnie et d’assister à des moments intimes. Les sujets sont souvent pris par surprise et semblent ignorer la présence de l’appareil photo.
Vous avez travaillé avec de nombreux photographes connus. Est-ce que cette connaissance du déroulement d’un shooting et du concept à l’origine d’un cliché donné vous a aidé d’une certaine manière à rendre les images finales d’une pièce plus conformes à vos attentes, au-delà d’une simple relation d’affaires entre client et photographe ?
J’aime les photographies capables de transformer et mettre les gens en valeur, de les rendre inoubliables. Au fil des ans, j’ai toujours souhaité que cela reste un élément fort de mes campagnes, et je pense y être parvenu chaque fois, avec l’aide de grands photographes qui ont su exprimer leurs sentiments et leur perspective tout en respectant l’esprit de la marque. Je pense par exemple aux photos ressemblant à des peintures de la collection homme Emporio Armani par Aldo Fallai, ou aux photos de Peter Lindbergh pour la collection femme, qui ont eu un fort impact et ont conservé leur force de séduction dans le temps.
La force esthétique, la profondeur des lignes, l’harmonie et/ou les contrastes de couleurs qui caractérisent votre style sont le résultat d’un processus qui associe une stricte rationalité, de l’intuition et un écart créatif par rapport au sens. Pensez-vous que ces éléments sont également valides en ce qui concerne la photographie ?
Pour créer son style personnel, je crois qu’il est nécessaire de posséder une subtile aptitude à comprendre comment travailler efficacement au sein du marché dans lequel vous évoluez, afin de rendre votre travail unique, à travers un langage personnel et reconnaissable au premier coup d’œil. Je crois que c’est toujours ce que je fais pour mes collections et je suis convaincu que c’est un élément crucial en photographie également. De nos jours, il y a énormément de photographes et ils se doivent de montrer que leur vision est unique et reconnaissable, pour sortir du lot et devenir inoubliables auprès du public. Larry Fink, par exemple, a une approche intime et non conventionnelle. Il met l’accent sur l’aspect humain de la situation, qu’il photographie la jeunesse de sa génération, dans les années 50, ou des stars du cinéma à l’aube du nouveau millénaire.
Récemment, vous avez personnellement organisé l’exposition Emotions of the Athletic Body. Quelle étape de cet événement a été la plus excitante pour vous, et pourquoi ?
J’ai toujours été fasciné par le culte du sport, l’amour de la condition physique et des belles performances athlétiques. Avec cette exposition, je voulais mettre en lumière les relations entre le corps et le sport, qui ont toujours été des notions clés dans mon discours.
Pendant plusieurs années, la marque Armani a été partenaire officielle de Paris Photo et Armani/Silos à Milan a accueilli plusieurs événements associés à l’image (statique ou animée) : quelle est pour vous la signification du langage photographique et de la communication visuelle ?
Une photo de mode peut être belle, mais aussi toucher le cœur des gens. J’ai toujours été lié au langage photographique, qui est pour moi capable de faire naître des émotions. Lorsque je regarde les clichés de Larry Fink, j’ai l’impression que le photographe plante ses yeux dans les miens, guide mon regard pour me montrer sa perspective sur le monde.
À votre avis, quel est le rôle de la photographie pour communiquer le style d’une maison ?
Depuis ma première campagne, photographiée par Aldo Fallai, j’ai compris combien il était important d’utiliser l’image pour communiquer un certain sentiment, une esthétique bien définie, qui resteraient désormais liée à jamais à ma marque, j’en étais conscient. Actuellement, beaucoup de projets et d’idées nés dans mon esprit sont devenus des réalités grâce aux images, qui racontent les histoires que j’ai inventées pour mes marques.
À une époque pas si lointaine, on prenait une quantité limitée de clichés. Aujourd’hui nous assistons à une production d’images quantitativement très élevée, qui sont peut-être en si grand nombre qu’elles ne peuvent pas être pleinement expérimentées. On assiste également à ce phénomène lors des défilés. À votre avis, ce flux quasi ininterrompu d’images prises par des spectateurs – qui observent souvent le spectacle uniquement à travers le filtre d’un écran – mène-t-il à un développement de la culture de la mode, ou peut-on s’attendre à ce qu’il agisse comme une sorte de brouillard masquant la réalité ?
Je pense que ce phénomène qui va en augmentant est indubitablement une chance exceptionnelle, mais comme le développement de n’importe quel médium, on se doit de l’exploiter avec modération et intelligence. La mode est en ce moment plus immédiate et plus accessible pour un public plus étendu – y compris auprès des jeunes –, mais ce flot risque de dévaloriser la véritable valeur de la photographie de mode de qualité.
Propos recueillis par Paola Sammartano
Paola Sammartano est une journaliste spécialiste des arts et de la photographie basée à Milan.
