Gilles Roudière, c’est l’ailleurs. Il nous transporte, loin. En premier lieu dans sa géographie éclatée de bourlingueur : Cuba, Berlin, l’Albanie, Istanbul, l’Ukraine… Pourtant elle n’a pas d’intention documentaire. Rien n’informe véritablement de Cuba, de Berlin ou de quelque contrée lointaine à l’Est qu’il a visitées. C’est une tout autre chose qu’il donne en partage. Devant ses images argentiques, lentes et granuleuses, nourries de photographie japonaise, il lui faut aller quelque part, partir, chercher quelque chose, mais quoi ? Il semble que le chemin lui importe plus que la destination.
Dans la première salle de l’exposition visible en ce moment à la galerie in)(between à Paris, des tirages de petit format se déroulent sur une même ligne, disposés comme les pages d’un album ou d’un livre déployé. Nous sommes cette fois à Cuba. Rien d’attendu, pas d’image d’Épinal. Ses images sont dépourvues de tout l’exotisme racoleur, de tout le folklore iconographique qu’on pourrait attendre de cette destination-poncif de l’histoire de la photographie. Et le point de chute est risqué. Elles sont dévorées par une lumière souvent aveuglante. Des silhouettes fugaces se dessinent, un cheval, une rue, un oiseau en cage… Un étrange bateau flotte, en haut d’un mur.
Chez Gilles Roudière, tout est silencieux, pas de bavardage, ni démonstration, ni enseignement. Il prend par la main – ou les yeux – pour emmener sur ses pas. Et on le suit, on se laisse porter. C’est la photographie comme compagnie. Au bas de l’escalier qui mène au sous-sol, l’accrochage se fait plus dense et les tirages plus grands. Il nous entraîne à l’Est. Une robe de mariée lactescente irradie près d’un insecte collé sur une vitre, un enfant protège ses yeux, une femme extatique s’offre à la lumière, et partout des envolées, des soleils écrasants et des routes sinueuses.
L’ailleurs et la photographie sont ici un territoire, le sien, celui d’une introspection jalonnée d’éblouissements, comme autant d’expériences sensibles et sensorielles contagieuses. Un monde au-delà du monde, entre exaltation et apaisement. Ses images laissent la liberté d’éprouver et de sentir les lieux qu’il transfigure. Chacun à sa propre manière. Alors, Gilles Roudière nous transporte, loin, en lui-même, à travers les yeux du monde.
Caroline Benichou
Caroline Benichou est une auteure et commissaire d’exposition spécialisée en photographie. Elle vit et travaille à Paris.
Gilles Roudière, Echos… Latitudes
Du 18 mai au 16 juin 2017
in)(between gallery
39, rue Chapon
75003 Paris