Rechercher un article

Gilles Peress: –Un témoin privilégié

Preview

Quand on est grand reporter, l’histoire ne surgit pas seulement à l’autre bout de monde mais aussi au coin de la rue. Gilles Peress, l’un des grands photojournalistes de guerre du XXe siècle, a photographié l’inimaginable à deux pas de son domicile new-yorkais. Il se souvient.

« Est ce vraiment utile de revenir sur les détails d’une matinée 10 ans plus tard ? » Les mots sont lourds, la réaction humaine. Les yeux du photographe, eux, restent délicats. D’emblée, Gilles Peress donne le ton. Parler du 11 septembre lorsqu’on l’a vécu de près n’est pas chose aisée.

Ce jour là, un peu avant 9h du matin, ce sont les premières images de la télévision qui donnent l’alerte. Gilles Peress se trouve chez lui, à Brooklyn. « Coup de téléphone de ma fille qui gère mon studio. Coup de téléphone de David Remnick du New Yorker. Je pars tout de suite. » Dans la cohue, il prend la route en voiture et se trouve rapidement stoppé aux abords du Brooklyn Bridge. Il abandonne le véhicule, saisit son appareil argentique et traverse l’East River à pied. L’homme s’engouffre ensuite dans la fumée alors que la foule fuit les lieux de la tragédie. La première tour vient de s’effondrer.

Dès lors, Gilles Peress débute son travail, comme à chaque fois qu’il est sur le terrain. Il photographie les gens qui courent, ceux qui étouffent et se couvrent le visage, les pompiers désemparés face à l’ampleur du drame. Il immortalise symboliquement un stand ambulant affichant : « Now serving brewed decaf coffee » (Nous servons maintenant du décaféiné maison). « En règle générale, je ne pense pas à mes photos. Ce jour là, non plus, raconte l’ancien président de Magnum. Etre sur le terrain ne signifie pas rentrer dans un esprit de travail. Tout est personnel chez moi. »

Peu après son arrivée à Ground Zero, la deuxième tour s’écroule. Gilles Peress n’a alors eu que très peu de temps pour photographier, moins de trente minutes exactement. Il reste néanmoins la journée entière et se mêle aux pompiers près des décombres. Avant de publier ses images, il fait un saut à son laboratoire, puis file au bureau du New Yorker, dont il est l’un des photographes permanents. « Là bas, c’est la panique complète, la directrice artistique est devenue paranoïaque, elle pense qu’un autre avion va heurter l’immeuble Condenast et n’a qu’un seul souci : se barrer. » Le photographe reste au magazine, accompagné de personnes attachées à la production. Il s’occupe de la correction de tous les dossiers numériques, les siens et ceux des autres. « Ce jour là, le New Yorker est un navire déserté. »

L’après 11-Septembre

Gilles Peress retournera travailler à Ground Zero une semaine durant, photographiant « la solidarité entre les hommes, la mise en place de mémoriaux, les autels en hommage aux victimes, les rituels inventés par leurs proches pour gérer la douleur ou l’effarement. » Il décrit une vie devenue beaucoup plus dure, un impact psychologique énorme. Ce qui le touche ? La tristesse des gens et des jours post-attentat. « New York était devenue une ville en deuil. »

Gilles Peress est de la trempe de ceux qui bravent le danger. Il a couvert des conflits meurtriers et vu les pires atrocités que l’homme est capable de commettre. « Malgré tout, à de rares exceptions, je n’ai jamais vu une destruction aussi intense, d’une minute à l’autre les tours sont là puis disparaissent. Une séquence monumentale de point de vue architectural. C’était vraiment un phénomène au sens phénoménologique. »

De cette expérience de guerre chez lui, il retient que sa façon de prendre des photos a « sûrement un peu changé. » « On n’avance pas dans l’histoire et à travers des évènements impunément, lâche Gilles Peress. Ce fut une secousse émotionnelle mais aussi le début d’une secousse économique qui a vraiment fait culbuter la presse. » Et de rappeler à cette dernière et pour les commémorations : « L’important n’est pas seulement de se rappeler du 11-Septembre et des 3 000 victimes américaines mais aussi d’avoir en mémoire combien de morts, de déplacés, de torturés il y a eu par la suite en Afghanistan et en Irak. »

Jonas Cuénin

Merci de vous connecter ou de créer un compte pour lire la suite et accéder aux autres photos.

Installer notre WebApp sur iPhone
Installer notre WebApp sur Android