À 25 ans d’intervalle, les regards croisés du photographe Gilles Favier et du journaliste Philippe Pujol sur les habitants d’un des quartiers Nord de Marseille.
Au début des années 1990, le ministère de la Culture souhaite dresser un état des lieux de la France et missionne Raymond Depardon pour sillonner les campagnes. Quatre autres photographes sont chargés des banlieues dites « sensibles ». À Gilles Favier, qui réside alors à Paris, échoit Marseille. Il se fixe à La Renaude, une enclave défavorisée du nord de la ville divisée en deux. En haut les HLM, où vivent les familles arabes. En bas, des cubes de béton, où réside la communauté gitane.
Le photographe y restera un an et demi en 1991 et 1992, réalisant au format 6×6 un reportage en noir et blanc d’une très grande qualité qui demeure, 25 ans plus tard, un témoignage précieux de l’histoire des habitants de La Renaude, et plus largement celle des quartiers Nord de la ville. Pour interroger ce corpus d’images, l’écriture de Philippe Pujol, lauréat du Prix Albert Londres en 2014, s’est imposée. S’appuyant sur le témoignage de personnes photographiées qu’il a retrouvées, il questionne les enjeux de ce quartier dans la grande tradition du journalisme littéraire.
Les photos d’il y a 20 ans tirent des cris de joie chez ceux qui les découvrent sans s’y attendre, mais aussi quelques souvenirs tristes. Des tirages réalisés pour eux et éparpillés sur une table attendent que les personnages photographiés soient reconnus. Les photos luisent comme des perles de souvenirs dans les yeux de chacun. « On entre par une cour privative que chacun aménage à sa manière ; lieu de vie pour les uns, espace de stockage de toutes sortes d’objets pour les autres, avec des poules et parfois des lapins », écrit-il. « Sur les toits des vérandas chancelantes sont jetés les vélos et les trotteurs des enfants. […] Un diagnostic réalisé par Médecins du Monde en 2000 précise que la majorité des personnes ont un revenu très faible et sont dans une situation socioprofessionnelle précaire, 80% des pères de famille sont au chômage, 65% des actifs sur l’ensemble de la population sont sans emploi. Tous les ménages bénéficient de l’aide personnalisée au logement. Un quart des foyers vit avec des ressources inférieures au RMI. L’essentiel des revenus est constitué d’aides et d’allocations. L’endettement est criant. Il fait peur car il justifie l’expulsion. »
Irène Attinger
Irène Attinger est la responsable de la bibliothèque et de la librairie de la Maison Européenne de la Photographie, à Paris.
Gilles Favier & Philippe Pujol, Marseillais du Nord / Seigneurs de naguère
Publié par Le bec en l’air
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