Gilles Berquet produit « des images de l’esprit et non des reproductions de la réalité ». Abordant la photographie en autodidacte en 1981, dès sa sortie des Beaux-Arts, il n’a cessé de « fabriquer » des images plutôt que de « prendre des photos ». Des modèles féminins, les corps contraints, attachés, théâtralisés, s’accordent à son désir de fiction. Longtemps, entre elles et lui, les séances sont en intérieurs, cérémonies artisanales et exigeantes, peaufinées par le tirage en argentique. Des images périlleuses comme des songes détournent les conventions érotiques pour semer une angoisse sourde, à l’humour surréaliste.
Publié par les éditions Loco, Le fétiche est une grammaire évite la monographie convenue. Aucune biobibliographie ne fige sa trajectoire, aucun texte ne souligne les intentions et ne définit, de façon abrupte, des périodes ou des thématiques. Clichés argentiques et impressions numériques se répondent, fragments d’un même récit, au centre duquel surgit un texte de Michel Onfray, déjà son préfacier en 2000 et qui perçoit cet ouvrage-somme comme la cosmographie d’un univers, dont le photographe capte la lumière et les vibrations.
Exploitant l’imposante hauteur sous plafond de son studio de Clamart, une photographie de 2008 évoque l’apocalyptique Kiss Me Deadly de Robert Aldrich, sa lumière aveuglante, derrière la porte. Cernée par le noir profond, comme une menace d’encre, une fragile silhouette de femme nue, debout sur ses talons, tendue de curiosité, vibre par la lumière blanche d’une tenture entrouverte, une faille, une plaie selon Berquet, rideau plus déchiré qu’entrebâillé, rideau de douche de Psychose.
En métamorphose fétichiste, en corps-valises ou harnachés, s’adaptant à d’improbables équilibres, ses modèles féminins retrouvent la beauté fatale de l’épouvante hollywoodienne. Immobile dans la forêt, Mïrka Lugosi a le regard écarquillé, la bouche pourpre, le masque de cire de Carroll Borland.
Dans les travaux récents, débarrassé des accessoires, à peine contraint, le corps de la femme reste mutant mais fidèle aux talons-aiguilles qui font d’elle, selon le mot d’Onfray, une « couturière des êtres ». Un faux minimalisme perpétue l’inquiétude et le secret. Le modèle saisie dans la lumière du rideau déchiré, c’est un autoportrait de l’artiste au travail, attiré par l’inconnu.
Christophe Bier(dans sa rubrique de Mauvais Genres, tous les samedis soirs sur France Culture)
Christophe Bier est l’auteur d’Obsessions, Le Dilettante, 2017.
Le fétiche est une grammaire, une monographie de Gilles Berquet, avec un texte de Michel Onfray. Éditions Loco.
http://www.editionsloco.com/Livres
L’exposition se tient jusqu’au 15 décembre à l’ Arsenic Galerie, 14 rue Guénégaud 75006 Paris.