C’est à Busan en Corée du Sud que l’on trouve un lieu unique en son genre, entièrement dédié à la vie et l’œuvre de Ralph Gibson. Ce sanctuaire de l’art photographique, baptisé Gibson Ι GoEun Museum of Photography, a ouvert ses portes en 2022 pour célébrer les 15 ans de la fondation photographique coréenne. Y sont conservés et exposés plus de 1 000 photographies et objets personnels du maitre américain.
Né à Hollywood en 1939, sous la lumière des plateaux de cinéma, un père assistant-réalisateur d’Alfred Hitchcock, passé par la Navy, puis formé à l’Art Institute de San Francisco ; celui qui a côtoyé jeune les plus grands, Dorothée Lange, Robert Franck, Henri Cartier-Bresson a profondément marqué son domaine en créant et imposant un langage photographique singulier, aujourd’hui reconnaissable entre mille.
Ce qu’il appelle « sa signature visuelle » – quand vision et technique s’accordent – ce sont ces fragments de vie, arraché à la réalité, à la frontière entre le rêve et le subconscient. Il le dit lui-même : « Ce qui m’intéresse, c’est de produire des formes tronquées, proportionnées au cadre et à la composition, des formes de préférence lumineuses. La figure complète ne m’intéresse pas. Je veux abstraire les formes. » Celui dont l’œil est toujours à l’affut nous apprend à voir et à faire dialoguer formes et images. Une ombre, une lumière, un reflet, une trace… toute chose qui ainsi détaché de son ensemble devient un tout et ici une œuvre d’art.
« Une grande partie de ce que vous voyez dans ces deux images est ce qui se trouve entre elles. ». Cette citation de l’artiste guide le visiteur qui déambule au premier étage. Y est présenté une des séries les plus récentes du photographe, Political Abstraction, dyptiques photographiques en couleur et noir et blanc. Passé de l’argentique au numérique, mais toujours fidèle à Leica, Gibson propose dans cette deuxième exposition consacrée à sa production numérique, une nouvelle approche de sa signature visuelle. Il y a toujours la même envie de s’extraire de la réalité – on observera d’ailleurs qu’aucun des lieux dans lesquels sont prises les photographies ne sont précisés – mais ici le spectateur est entièrement partie prenante. Rideau de théâtre et visage statufiés. Bouteille de verre éclairée à la bougie et lumière sur recoin de table basse. Face à deux images mises côte à côte, le photographe nous pousse à interroger notre intériorité, à intervenir dans ce dialogue et imaginer une « troisième réponse ».
Ambiance feutrée. Murs noirs. Lumière blanche. C’est une autre ambiance qui attend le visiteur au sous-sol. Dans l’escalier qui l’y mène on retrouve des photographies sa collection d’appareils, d’instruments de musiques, lettres et livres de cet amoureux des mots… autant d’objets dont Gibson a généreusement fait don au musée et qui permettent au visiteur de mieux percevoir la personnalité de cet artiste protéiforme. La salle qui suit ensuite expose son travail le plus connu, ses œuvres en noir et blanc qui plonge le visiteur dans une dimension plus intime. A la frénésie des dialogues des images en dessus de nous, c’est dans un silence quasi-religieux que l’on s’y aventure observant ces images uniques, entre déférence et subjugation.
Celui qui aime transmettre trouve en ce lieu, le Gibson Ι GoEun Museum of Photography une occasion de créer un lien entre les cultures et d’offrir aux jeunes photographes coréens l’opportunité d’apprendre et d’interagir avec lui qui s’y rend plusieurs fois par an. « Le musée Gibson/Goeun me donne l’occasion de servir de pont entre les visions photographiques occidentales et orientales. Avec l’ouverture de cette institution culturelle, nous bouclons la boucle en célébrant la façon dont nous voyons et interprétons le langage de la lumière. »
Un lien fort aussi permis grâce aux centres d’intérêt partagés entre le président de la Fondation HyungSoo Kim, pour l’art en général, la musique particulièrement mais aussi pour la France, ses paysages, son histoire et sa culture. La France qui a d’ailleurs reconnu le talent et le travail de ces deux hommes en les décorant à quelques années d’intervalles de la Légion d’honneur. Décoration honorifique qui sera la thématique de la prochaine exposition du musée sous le titre « La Légion d’honneur, fierté et humilité ». Du 12 juillet au 20 septembre 2024, 70 photographies de Ralph Gibson reviendront sur la signification de l’ordre national avec beaucoup de respect et d’admiration pour les autres récipiendaires.
Marine Aubenas
Gibson Ι GoEun Museum of Photography
16 Haeun-daero 452beon-gil
Haeundae-gu, Busan, Corée du Sud
https://www.goeunmuseum.kr/