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Ghislain Sénéchaut: Les territoires de l’extrême

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Ghislain Sénéchaut est dans la lignée des observateurs du paysage social, topographes du mythique et du familier. Photographe voyageur, il affectionne les pays où l’éloignement, la dureté de la vie, façonnent le corps et l’esprit. En 2003, ses Portraits du Kosovo ravivaient une mémoire trop vite oubliée. Vieillards, adultes et enfants étaient là, entre les ruines de leurs villages, le dénuement de leurs logis, dans les vestiges de guerre, les jeux d’enfants. Les tirages en noir et blanc, les formats intimistes, la sobriété de la composition donnent une mesure grave de ‘l’après’ et suscitent l’empathie. Plus récemment, l’exposition Patagonia, montrait des paysages arides, immenses : le panoramique d’un lac séché, des scènes nocturnes, des situations parfois insolites, magnifiées par les flous et le grain des tirages gélatino-argentiques. Atmosphères. L’exposition présentée dans le jardin du Musée Albert Kahn est une nouvelle invitation au voyage. Constructions, habitants, animaux… autant de présences et de réalités. Des grands formats carrés, en noir et blanc, se détachent de l’environnement verdoyant du jardin ; passages spatio-temporels entre l’ici et l’ailleurs : ici, nos rêves et nos envies, là, un isolement à degrés variables dans une réalité climatique implacable.

D’ouest en est – de la Cordillère des Andes à l’océan Atlantique, de mai à septembre, les événements se déroulent de part et d’autre de la Route 23, ruban de pierre de plusieurs centaines de kilomètres. Pilcaniyeu, Comallo, Jacobacci, Maquinchao, Valcheta… des hommes, une femme, un bébé, nés dans un paysage élémentaire, espaces de pierre sous un ciel immense. Vivre les conditions de l’isolement, en partager l’aridité, tel est le travail de Ghislain Sénéchaut. Ses photographies donnent à voir une solitude saturée d’événements, de moments décisifs : activités liées à l’élevage, à la chasse, à la cueillette, des paysages, des intérieurs modestes.

Le 5 juin 2011, l’irruption du volcan chilien Pehuyue a coupé du monde une partie de la Linea Sur. Témoin, le petit cheval foulant les cendres de la plaine blanche et ventée. Catastrophe naturelle ? Invention de la nature ? Le documentaire se fait image poétique. Dans une atmosphère étrangement calme, une vue en plongée montre un coral en pleine activité : la tonte de moutons après l’hiver. Dans ce pays aride, les saisons se font rares : l’hiver et l’été, avant et après. Dans l’enclos, le travail s’organise. Le propriétaire du camion, le mecanico, distribue les tâches du cuisinier, des tondeurs, des hommes chargés du ramassage, de la presse, de l’emballage de la laine, du marquage et de la vaccination des animaux ; intense activité.

Qu’ont en commun un cuisinier, un repère d’habitation, un chien assis sur le toit d’un camion Chevrolet et le rire déjanté d’un animal écorché en équilibre sur une clôture ? Rien et tout : ils sont preuves, signes, traces et expressions de vies. Entre la préparation des quatre repas quotidiens, César, le cuisinier de la tonte des moutons, nous toise d’un air débonnaire. Un poste de radio à la main, il tente d’intercepter des nouvelles de son village situé loin des Hauts- Plateaux. Au-delà, dans le désert de pierre, un moron sert à repérer un abri construit dans un creux. Des gens vivent dans les plis de la terre. Une panne de camion qu’un homme tente de réparer. Perché sur le toit du véhicule, son chien attend et surveille la route vide. Une vision étrange. A cheval sur une barrière, un renard séché au soleil. Gueule grande ouverte, il indique la route d’accès au village.

Une photographie isolée interpelle : une ligne sinueuse la sépare de haut en bas, côté ombre, côté soleil. Les uns regardent, les autres jouent. Des hommes réunis pour la fête du village pratiquent la taba, jeu d’adresse et ciment social pour ces hommes qui souvent vivent seuls et isolés. Leur jeu s’apparente à la pétanque, des os remplacent les boules.

Des paysages, des activités, des rencontres, des hommes – Cecilio, Miguel, Juan, Carlito – dont nous faisons la connaissance. Ghislain Sénéchaut traverse leur pays, accueilli dans leurs maisons sans électricité ni eau courante. Il vit à leur rythme, observe. Au loin, un arbre unique, seul arbre vivant rencontré sur les Hauts- Plateaux. Cecilio, éleveur de moutons, rapporte, précieux butin, un arbre mort à dos de cheval. Entre les portraits de Cécilio et Miguel, un paysage aux horizontalités insistantes. Au premier plan, une barrière de pierre traverse l’espace. L’ombre est forte, le paysage clair, moitié pierre, moitié ciel. A côté, une autre photographie représente une ouverture noire, énigmatique. Il s’agit d’une grotte à demi enterrée où vécut un homme disparu il y a quelques années. Juan est gardien de moutons. La pièce principale de sa maison de pierre est organisée autour du poêle à bois. Devant lui, quelques objets utilitaires, un pain coupé, un pot de maté et sa paille. Au-dessus, sur un rebord : sa radio, une figurine animale, des objets familiers. Au mur, accrochées en quinconce : un calendrier, des images, la reproduction d’une oeuvre de Molina Campos, peintre argentin. Des souvenirs, des petites choses pour rêver. D’autres images encore : le cadrage serré d’une maison inhabitée, fenêtre close. Elle se situe au bord du désert où vivent Carlito et ses chiens. Plaisir partagé, ils viennent de chasser un pitchi, petit animal à carapace. Sur le même plateau, deux chevaux harnachés dans l’attente d’une monture. Un lieu d’aisance à ciel ouvert, à l’abri du vent et la courbe d’un coral façonnent le paysage.

Une communauté mapuche vit dans une réserve à plusieurs dizaines de kilomètres de la Route 23. Les habitations sont construites selon la situation géographique. Ici, elles sont faites de boue. La forme est essentielle, les ouvertures vers l’extérieur sont rares. Voici Geronimo, commerçant de produits de base : savon, farine, herbes à maté… Dans sa belle veste de tweed usé, l’air malicieux, il se détache de l’unique fenêtre de sa maison. Et Marcella, qui regarde l’objectif, un bébé emmitouflé de tricots dans les bras, son onzième enfant. La lumière vient de la porte, et comme dans cette autre habitation à côté, sa petite maison de terre séchée est sans fenêtre.

Cecilio, Miguel, Géronimo, Marcella, Juan, Carlito sont là, ne posent pas. Grave, leur expression est sans lourdeur. Générosité : offrande et partage de l’épaisseur essentielle de leur existence. Ghislain Sénéchaut porte ces terres pour nous devenues paysages.

Michelle Héon, Artiste, professeur, Ecole Européenne Supérieure de l’Image, Poitiers /Angoulême

Ghislain Sénéchaut
Exposition jusqu’au 23 juin 2013
Jardins Albert Khan.
10-14 Rue du Port.
92100 Boulogne-Billancourt
France
01 55 19 28 00

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