Les archives Gerhard Richter de Dresde présentent une sélection de photographies repeintes signées par le peintre de cette ville de l’est de l’Allemagne. Ces petits formats incarnent les éternelles questions de Richter sur la porosité des frontières qui séparent l’illusion de la réalité.
Gerhard Richter ne s’est jamais cantonné à un médium, tout comme il ne s’est jamais assigné à un genre. Il a toujours, au sein de son œuvre protéiforme, joué entre formes et courants artistiques. Il fut tour à tour un chef de file du romantisme et un maître de l’abstraction ; il est le même homme derrière de somptueux petits paysages marins à l’huile et de superbes peintures au pixels. Gerhard Richter est à la fois la tradition et sa rupture ; aux questions que pose son art, il oppose leurs visions. Et ces œuvres, mêlant photographie et peinture, sont l’incarnation ultime de cette ambivalence.
La texture de la photographie
Ces photographies prises par Richter sont des instantanés de sa vie quotidienne et de ses voyages. Derrière les couches de couleurs apparaissent des portraits d’êtres chers, des musées, des scènes aquatiques, des paysages ruraux et urbains… En elle-même, la photographie dans son essence, dans cette force unique qu’elle a à collectionner les instants triviaux de la vie pour en entretenir la mémoire. Ces clichés au format standard de tout et de tous n’étaient pas forcément destinés à devenir des œuvres d’art en soi. Gerhard Richter les gardait dans un tiroir sans vraiment savoir quoi en faire. Il a placé ces petites photos « entre l’art et les déchets qui, d’une manière ou d’une autre, me semblaient importants et qu’il était dommage de jeter. » Tout simplement.
Le fil conducteur de l’œuvre de Richter réside dans cet espace contenu entre la chose et sa représentation, entre le sujet et l’image, entre l’apparence et le sens. Après avoir utilisé la photographie comme modèle pour certaines de ses œuvres emblématiques au réalisme inquiétant, Richter commence à la fin des années 80 à habiller ses propres photographies de coups de pinceaux abstraits pour compenser, dirait-il, le manque de réalité de cet art : « Un jour, j’ai pris des petites photos que j’ai enduites de peinture. Cela a en partie résolu le problème, et c’était en fait une bonne chose – mieux que tout ce que j’ai jamais dit sur le sujet. »
Interférence optique
Lorsque Gerhard Richter crée, quelle place laisse-t-il au hasard ? C’est une question que l’on ne peut éluder lorsqu’on se retrouve devant ses grandes toiles abstraites. Ici, bien qu’à plus petite échelle, c’est la même énergie, le même geste désinvolte qui embrasse la surface lisse du papier. Les couleurs forment des motifs picturaux qui se mélangent aux motifs photographiques : le bleu se mélange au ciel, le violet aux toits des immeubles, le beige à la peau, le rouge aux champs de blé, le blanc aux reflets du soleil sur les murs. Ces formes devinées à travers la peinture étalée et grattée apparaissent comme des réminiscences du passé, qui nous reviennent floues. Le tableau semble incarner des émotions liées à la mémoire lorsque l’image fait référence à une certaine réalité. Ensemble, la peinture et la photographie parviennent à servir la mémoire. Mais alors, qu’est-ce qui est réel ? La réalité ou sa représentation ? Les 72 Photographies repeintes présentées sont la rencontre de deux univers compartimentés et pourtant si proches et si puissants lorsqu’ils sont réunis. Ces œuvres parviennent à perturber la vérité d’une photographie.
Noémie de Bellaigue
Gerhard Richter. Übermalte Fotografien aux Archives Gerhard Richter jusqu’au 19 novembre 2023.
Gerhard Richter Archiv
Albertinum
Tzschirnerplatz 2
01067 Dresden
https://gerhard-richter-archiv.skd.museum