2004
Kingsley
Je rencontre Kingsley au Cameroun lors d’un reportage sur l’immigration clandestine. Ce jeune homme de 22 ans a déjà tenté l’aventure deux ans auparavant, avant de renoncer faute d’argent. Depuis, il a économisé et obtenu soutien auprès de ses proches. De plus, il est désormais attendu en France : Francis, son ex-collègue et meilleur ami, a immigré légalement en épousant une touriste française. Kingsley est prêt à repartir.
Il quitte son pays en mai 2004 et traverse, en toute illégalité, le Nigeria, le Niger, franchit le Sahara pour entrer en Algérie. Avant d’atteindre le Maroc. Là, après trois mois d’attente et deux séjours en prison, il embarque avec une trentaine d’autres clandestins pour les îles Canaries, sur un esquif de fortune fourni par des passeurs. Six mois après son départ, après avoir changé cinq fois d’identité et trois de nationalité, il touche enfin la terre européenne… escorté par la Guardia Civil.
Au début, notre relation se fonde sur l’intérêt commun d’aller le plus loin possible. Lorsqu’il me demande de garder son pécule pour ne pas être volé lors des passages de frontières, j’accepte, sachant qu’il fera tout pour me retrouver en cas de séparation. Des liens plus profonds se tissent progressivement au fil des moments forts partagés. Une confiance presque inébranlable s’installe. Ce que nous avons vécu ensemble et un respect mutuel nous engagent indéfectiblement l’un envers l’autre. J’oscillerai souvent entre le rôle d’observateur et celui d’acteur au cours de cette histoire, jusqu’à l’obtention du titre de séjour de Kingsley. Parce qu’il a confiance en moi, il accepte d’être exposé dans les journaux alors qu’il est encore clandestin. Je lui explique que cette médiatisation pourra éventuellement lui permettre de constituer un dossier solide. Ce qui se produit. Aujourd’hui, il vit en France tant bien que mal.
À une époque où le mérite est une vertu vantée par les hommes politiques, où la « prise de risque » est érigée en valeur étalon, mon reportage expose les difficultés d’un tel périple et met en lumière tout ce que ces migrants donnent – jusqu’à leur vie parfois – dans l’espoir d’une existence meilleure.
Olivier Jobard
Biographie: C’est un stage de fin de cycle à l’École nationale supérieure Louis-Lumière qui conduit Olivier Jobard chez Sipa. En 1992, il en devient l’un des photographes sur tous les grands conflits de la planète. Depuis 2000 et un reportage sur le centre d’accueil de Sangatte, il travaille sur l’immigration. Il a mené deux ans d’enquête sur les routes migratoires clandestines vers les frontières européennes et se penche aujourd’hui sur l’intégration des immigrés dans les pays d’accueil.
40 ans de photojournalisme – Génération Sipa
De Michel Setboun et Sylvie Dauvillier
Création graphique et mise en page : Grégory Bricout
© 2012, Éditions de La Martinière
239 pages – 39 euros