Decembre 1975
Escale dans l’Afrique du sud de l’apartheid
Je me découvre une vocation pour la photo à la faveur d’un petit boulot d’été à Saint-Lunaire, en Bretagne. Un copain et moi avions décidé de photographier les vacanciers, sur les plages ou naviguant à la voile, et de leur vendre les clichés le soir dans une petite échoppe. Avec les bénéfices, j’achète mon premier matériel, un Olympus, et très vite, je me prends au jeu. Au début des années 1970, je dois posséder un ou deux boîtiers avec moteur et trois ou quatre objectifs. Un jour à Paris, en 1973, je vois par hasard des pompiers en intervention et je me retrouve à photographier un accident survenu dans le métro. Un fait divers qui me vaut un premier contact avec Sipa et ma première parution sérieuse, dans France-Soir.
À l’époque, parallèlement à mes études, je réalise des petits reportages, essentiellement sur les courses nautiques auxquelles participent mes copains. Et comme l’un d’eux effectue son service militaire sur le bateau d’Éric Tabarly, je noue un lien privilégié avec le navigateur. Quand, en juin 1976, il surgira le premier des brumes de Newport lors de la Transat anglaise en solitaire, devant Alain Colas que tout le monde attendait, mes portraits de lui, seul sur Pen Duick VI, seront publiés à la une du Figaro.
Quelques mois plus tôt, lors du Triangle Atlantique, mon ami m’invite à les rejoindre à l’escale du Cap, afin d’embarquer avec eux pour Rio. Sans état d’âme, j’abandonne les bancs de la fac de médecine et, réunissant mes économies, je m’envole vers l’Afrique du Sud. Au final, le bateau affiche complet et je reste à quai ! Quitte à être là, moi qui ne connais rien ou presque à l’Afrique du Sud soumise à l’apartheid, je décide d’aller dans les townships. Audace, inconscience ou ignorance ? Je me promène, l’appareil en bandoulière, et c’est dans une banque de Soweto que je prends cette image. À mon retour, Gökşin me considère quasiment comme un spécialiste de la région. Bien que médiocre photographe, je suis devenu reporter. Une formidable école de la débrouille et un métier qui me paraît autrement plus passionnant que la dissection de cadavres. Et quand Gökşin m’envoie couvrir le tremblement de terre au Guatemala en février 1976, je le vis comme une consécration.
Voyager et témoigner : je n’ai jamais refermé mes valises, et le goût du reportage ne m’a plus quitté. En me donnant confiance en moi et la possibilité de m’exprimer, Gökşin Sipahioğlu, dont je n’oublierai pas l’humanité et la malice, m’a ouvert les portes de l’émancipation. Une de ces rencontres rares.
Nicolas Hulot
Biographie : Producteur et journaliste aventurier (Ushuaïa, Opération Okavango, Ushuaïa Nature) et farouche défenseur de la cause écologique au sein de sa Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme, créée en 1990, Nicolas Hulot posa son premier regard sur la planète à travers l’objectif d’un appareil photo. Pendant cinq ans, il fut pour Sipa le témoin des événements marquants de l’actualité nationale et internationale, notamment en Afrique australe et en Afrique du Sud.
40 ans de photojournalisme – Génération Sipa
De Michel Setboun et Sylvie Dauvillier
Création graphique et mise en page : Grégory Bricout
© 2012, Éditions de La Martinière
239 pages – 39 euros