Novembre 1962
Vigile cubaine pendant la crise des missiles
Jamais le monde ne fut si proche d’un cataclysme nucléaire que pendant la crise des missiles de Cuba. Lorsque le président John Kennedy informe le monde, le 22 octobre 1962, de la présence à Cuba d’armes offensives nucléaires pointées sur l’Amérique et avertit que les États-Unis envahiront l’île si Khrouchtchev ne les retire pas, beaucoup redoutent que la crise n’engendre une guerre atomique. Après treize jours d’intenses négociations et le blocus naval de Cuba, Kennedy et Khrouchtchev parviennent à un accord. Et en novembre, le président américain annonce triomphalement à la télévision le retrait par l’Union soviétique de tous les missiles sur le territoire cubain. En échange, Washington s’engage à procéder au démantèlement des siens sur le sol turc. Ce qui sera fait en 1963. Je devine que l’histoire d’une vie m’attend de l’autre côté de l’Atlantique, mais je ne sais pas encore que la crise des missiles restera le plus grand scoop de ma carrière.
Je prends l’avion d’Istanbul pour New York, Washington, Palm Beach, puis les Bahamas. Là, avec la bénédiction du propriétaire du navire, j’embarque sur le SS Bingül, un cargo turc chargé de farine russe. J’arrive à La Havane le 1er novembre, avec 200 dollars en poche, le passeport d’un marin turc et des contacts cubains, devenant ainsi le seul journaliste qui échappe au contrôle de la police sur l’île de Castro. Et pendant les trente-huit jours que dure mon séjour, je prends des photos. C’est en suivant un informateur anticommuniste clandestin que je vois, dans la campagne cubaine, deux camions soviétiques transportant chacun un missile. Contrairement aux déclarations du président américain, tous les missiles soviétiques n’avaient donc pas été retirés en novembre.
Après avoir quitté le port de La Havane sur le même navire, emportant avec moi mes précieux films et mon Hasselblad, je vends mon scoop à l’agence Associated Press, à New York. Mes photos et mon témoignage paraîtront à la une d’une quarantaine de journaux américains, mais aucun n’osera publier l’histoire des missiles restant encore sur le sol cubain. Ils seront renvoyés vers l’URSS un mois seulement après la déclaration télévisée de Kennedy, comme le révèleront, en 1997, des documents déclassés et des sources soviétiques.
Gökşin Sipahioğlu (1926-2011)
40 ans de photojournalisme – Génération Sipa
De Michel Setboun et Sylvie Dauvillier
Création graphique et mise en page : Grégory Bricout
© 2012, Éditions de La Martinière
239 pages – 39 euros