Rechercher un article

Gallimard : Fnac : Regards. Un siècle de photographie, de Brassaï à Martin Parr. Chefs-d‘œuvre de la collection Fnac

Preview

Les engagements forts qui ont caractérisé les liens entre la Fnac et la photographie – œuvres et artistes – ont marqué la société française durant des décennies. Dès 1966, après avoir permis aux amateurs de se saisir d’un appareil photo, la Fnac a transformé ses magasins en galeries d’exposition, renforçant encore la démocratisation de la photographie.

Pour témoigner de cette relation si particulière entre la Fnac et la photographie, est parut le 3 octobre 2024 un livre de 300 pages « Regards. Un siècle de photographie, de Brassaï à Martin Parr. Chefs- d’oeuvre de la collection Fnac » aux éditions Gallimard, qui met à l’honneur 250 images signées Berenice Abbott, Robert Capa, Henry Clarke, Philippe Halsman, André Kertész, William Klein, Inge Morath, Man Ray… sous la direction de Quentin Bajac.

Ces œuvres ont été choisies parmi les 1 800 photographies que compte la collection Fnac . Cet ensemble unique fut confié pour conservation, en 2014, au musée Nicéphore Niépce à Chalon-sur-Saône.

Laura Serani écrit :

Regards, publié à l’occasion des soixante-dix ans de la Fnac permet de rappeler le rôle pionnier que la Fnac a joué, à travers ses galeries photo et l’une des premières collections privées dédiée, dans la diffusion et la reconnaissance de la photographie en France, pendant plus de trente ans.

Si l’invitation à écrire un texte pour ce livre m’a fait grand plaisir, les deux adjectifs précisant « court et personnel » m’ont un peu effrayée, le premier par la difficulté de résumer une expérience aussi importante que celle de la Fnac, le deuxième par le caractère réellement personnel de mon histoire avec la Fnac et avec la collection, sur laquelle je n’ai jamais écrit jusqu’ici.

L’entreprise devait se révéler encore plus difficile, mais… voici l’histoire.

À l’origine de la Fnac deux amis, brillants et visionnaires, André Essel et Max Theret qui se déclaraient trotskistes sans embarras alors qu’ils se lançaient dans un système original de vente de produits électroménagers et d’appareils photo.

Aux débuts du boom économique, ils défendaient le droit pour tous aux biens de consommation et à la culture, en même temps que d’autres, avec la création du Club Med, défendaient l’accès aux vacances pour tous dans des lieux de rêve.

C’était une époque qui permettait les réussites et les utopies, les mélanges sans complexes, les projets généreux et ambitieux, qui laissait une grande liberté et une belle place à l’imagination.

C’est cet esprit, resté longtemps le fondement de la Fnac, qui m’a conquise jusqu’à me faire rester plus de vingt ans, alors qu’en arrivant aux Galeries Photo, en mai 1983, je pensais m’écarter de mon parcours orienté vers la littérature et le cinéma, juste le temps d’un job d’été.

1983, le départ d’André Essel, le fondateur, coïncide avec celui de Gjl Mijangos, autre figure légendaire de la maison Fnac, instigateur après Jacques Cherix du concept génial d’installer des galeries de photographie dans les magasins et d’aider les photographes en leur achetant des tirages à une époque où l’idée de « collection » n’était pas très répandue. À ce moment-là, la direction de la communication se réorganise ; un très jeune homme, François Hébel, reprend la tête des Galeries accompagné pendant deux semaines de Claude Nori pionnier, lui aussi, en matière d’édition. Un poste d’assistante se crée. Nullement intimidés par mon manque d’expérience, ils retiennent ma candidature et je me retrouve à travailler pour la première fois dans un bureau, dans une maison à l’identité très particulière, à leurs côtés. Claude Nori devait retourner très vite à sa maison d’édition, Contrejour, et François Hébel, après des projets remarqués comme Rushes et le lancement d’une collection de coffrets / catalogues des expositions, — entre autres d’ Erwin Blumenfeld, de David Bailey ou de l’Agence Sipa — sera appelé, deux ans plus tard, par Lucien Clergue pour diriger les Rencontres d’Arles. Ainsi en peu de temps je me retrouvai à la tête d’un département qui, à l’époque, jouait un rôle assez unique, avec un foisonnement d’expositions et d’événements autour de la photographie, d’abord dans les grandes villes puis dans toute la France, l’Europe et ailleurs. Mon premier jour de travail avait commencé à la Fnac Montparnasse avec Edouard Boubat, pour le montage de son exposition ; sa discrétion, ses manières de seigneur et sa douceur, égale à celle de ses images, ont sans doute marqué mes premières impressions et la suite de l’histoire.

On peut dire que la Fnac et moi, nous avons grandi ensemble… Dans une sorte de communauté, avec de grandes figures du siècle dernier, devenues souvent des amis, tels Cartier-Bresson, Martine Franck, Inge Morath, Ronis, Riboud, Burri, Klein, Jean-François Bauret, Sabine Weiss, Larry Fink, Sarah Moon, Malick Sidibé, Plossu, Depardon ou Salgado… avec lesquels j’ai beaucoup appris, sur le plan professionnel et humain ; avec d’autres amis comme Paulo Nozolino, Gérard Rondeau, Max Pam, Stephane Duroy, Machiel Botman… nous avons vécu ensemble l’évolution de la photographie et de la scène photographique, partagé les questionnements, cherché des réponses nouvelles. Avec le développement de la Fnac et le passage de cinq à cent cinq magasins, en Europe puis au Brésil et en Asie, les horizons se sont bientôt dilatés.

Aux débuts des années 2000, avec une équipe enthousiaste et très douée d’environ dix personnes, basées à Paris, nous concevions et produisions cinquante nouvelles expositions chaque année, qui tournaient tous les deux mois dans l’ensemble des galeries, en s’appuyant sur les chargé(e)s de communications de chaque magasin, ainsi qu’un magazine audiovisuel Séquence Fnac dédié aux arts visuels, au court-métrage et à la musique.

Les expositions d’artistes reconnus, comme Brassai, Berenice Abbot, Man Ray, Duane Michals, alternaient dans des galeries — dans un espace pas toujours idéal — avec celles d’artistes majeurs mais pas encore très connus en France comme Ugo Mulas, Luigi Ghirri, Gabriele Basilico, Gianni Berengo Gardin, Chris Killip, ou avec les premières expositions de photographes d’Afrique comme de Seydou Keïta, Malick Sidibé, Samuel Fosso, Santu Mofokeng, ou d’Amérique latine, comme Sergio Larrain et Alberto Korda, du Moyen-Orient avec Malekeh Nayiny et Shirin Neshat mais aussi d’artistes d’autres univers, tels Pedro Almodovar, Wim Wenders, Allen Ginsberg, Jonas Mekas, Stanley Kubrick, aussi bien que de jeunes photographes.

Si je parle autant des expositions ici, c’est parce que sans elles, il est impossible de parler de la Collection.

La Collection est née comme la mémoire et le miroir des expositions temporaires présentées au fil du temps dans les galeries. Créée dans les années 1970, elle s’est développée de façon importante dans les années 1990 et 2000. La variété des écritures et des thèmes traités correspond au choix de restituer l’état de la création autant que de témoigner de l’état du monde, d’où par exemple une présence importante de la photographie documentaire et du photo-journalisme, genre qui trouvait peu et mal sa place ailleurs sur des cimaises.

Pendant les vingt ans où j’ai piloté expositions et acquisitions, une ligne éditoriale s‘est dessinée, chaque image ayant été choisie en tant que témoignage documentaire ou acte poétique, comme expression des préoccupations du monde et du langage photographique à un moment donné, par ses messages ou ses métaphores, par les émotions ou les souvenirs qu’elle pouvait susciter. Comme la programmation des expositions, la collection s’est naturellement constituée, guidée par ma curiosité et mes centres d’intérêt éclectiques, la littérature, la musique, le cinéma, les thématiques sociales, sans frontières entres les disciplines et toujours avec un regard porté vers l’ailleurs et d’autres réalités.

Fréquentée par un public large et varié, la Fnac a ainsi joué le rôle d’un véritable media qui permettait de sensibiliser les clients et les visiteurs autant à la culture qu’à des questions de société : la situation des hôpitaux psychiatriques en Europe, la première déferlante du sida, la pauvreté, la sécurité routière, les réalités des banlieues, les conflits répétés au Moyen-Orient, la complexité de l’Afrique…

À chaque changement de propriétaire, sous chaque « règne », l’esprit et la générosité des fondateurs sont restés les principes de la politique photographique. Après André Essel, les Coop, puis la Gmf — avec la création de la Fondation Fnac qui a permis de soutenir de grand projets, comme la soirée Rock et Photo ou Les Albums imaginaires aux Rencontres d’Arles ou le Mois de la photo à Paris — et ensuite PPR, avec l’attention et la sensibilité de François Pinault et de François-Henri Pinault envers la collection, qui ont permis un nombre important d’acquisitions.

On avait la place et la liberté de « faire de la culture » indépendamment et souvent en dépit des objectifs commerciaux, avec une surface importante dédiée aux galeries photo et aux forums en plein cœur des magasins. Parfois la publication d’un livre coïncidait avec une exposition, dans l’intérêt de ses auteurs autant que de la Fnac, mais la grande majorité des expositions était le résultat de projets originaux, qu’il s’agisse de celles de Berenice Abbott, de Man Ray, d’Allen Ginsberg ou du projet monté avec Msf et Reporters sans frontières pour envoyer Yann Morvan et Reza au Burundi et au Rwanda pour en témoigner du génocide en cours dans une exposition et un journal publié en toute urgence, alors que la presse française n’en parlait guère.

La collection réunit toutes ces histoires, chefs-d’œuvre et témoignages de notre temps. Des histoires de rencontres, comme l’amitié avec Gilberte Brassai qui, avec une donation, a laissé à la Collection les quatre-vingts tirages de l’exposition de Brassai sur la nuit qui avait gagné la Prix du public lors du Mois de la photo en 1988 ; ou avec Lucien Treillard, qui, dans les années 90, avait fait don des deux expositions de Man Ray issues de sa collection, présentées ensemble à la Fnac, ou Benedict Fernandez qui avait légué un nombre important de tirages, témoignages précieux des luttes aux USA pour les droits civils et contre la guerre du Vietnam.

Les images qui constituent la collection sont, en grande majorité, des acquisitions parallèles à la production des expositions, plutôt que des vintages. Il s’agit de tirages modernes, réalisés sous le contrôle des auteurs ou de leurs ayants droit, signés ou authentifiés mais pas numérotés. Ce parti pris correspond d’une part à la réalité de la photographie dominante à l’époque, largement représentée dans la collection, selon la philosophie de Henri Cartier-Bresson soutenant le principe de la reproductibilité de l’œuvre, mais aussi au choix de pouvoir acquérir un plus grand nombre d’images dans une logique pédagogique de diffusion de la photographie, plutôt que dans une perspective patrimoniale ou spéculative, loin des critères du marche de l’art.

En 2004 pour les cinquante ans de la Fnac, nous avons publié le livre La photographie entre histoire et poésie, titre suggéré par Gabriele Mazzotta, grand éditeur d’art italien, qui traduisait bien l’esprit de la collection. Au même moment une exposition dans la salle des gens d’armes de la Conciergerie à Paris déroulait le récit du siècle en quatre cents images, et une exposition, sur les grilles du Jardin du Luxembourg, présentait cent clichés ayant marqué l’histoire de la photographie au XXe siècle. Vingt ans plus tard, c’est un bonheur de voir la Collection à nouveau accessible au grand public grâce à ce beau livre, aux événements prévus à Paris à l’automne et à l’exposition dont la Fnac m’a confié le commissariat, pour laquelle j’ai proposé une sélection thématique sous le titre Le siècle des vacances. La préparation de ce projet, présenté à Deauville à l’occasion du Festival Planches Contact, m’a permis de me replonger dans ce fonds qui a réveillé tellement de souvenirs et qui, j’espère, éveillera chez les visiteurs autant de redécouvertes, surprises et émotions. Bon voyage en images.

Laura Serani

 

« Regards. Un siècle de photographie, de Brassaï à Martin Parr. Chefs-d‘œuvre de la collection Fnac. »
sous la direction de Quentin Bajac aux éditions Gallimard.
262 x 290 mm, 304 pages, 250 illustrations.
ISBN 207310066X
45 €
https://www.fnac.com/a20755604/Quentin-Bajac-Regards-Un-siecle-de-photographie-de-Brassai-a-Martin-Parr

Merci de vous connecter ou de créer un compte pour lire la suite et accéder aux autres photos.

Installer notre WebApp sur iPhone
Installer notre WebApp sur Android