Le temps suspendu par Gabriel Bauret
Antoine Passerat développe depuis plus de quinze ans des projets personnels en marge de ses travaux de commande pour des marques liées à l’industrie du luxe, parfums et cosmétiques essentiellement.
Dans le cadre de ces commandes, la contrainte est grande, la pression forte, le temps compté. Si l’image est l’aboutissement d’une pratique propre au savoir-faire du photographe, elle participe également d’une réflexion et d’une culture collectives : beauté et sensualité sont mises en scène selon des codes précis, la représentation du corps répond aux canons esthétiques qui imposent courbes et modelés lisses, sexualité subtilement genrée.
Cette série sur les hammams, comme d’autres recherches personnelles d’Antoine Passerat, répond certainement chez lui à un désir d’évasion, une échappée hors des territoires de la mode et de la publicité ; mais elle incarne aussi une vision de l’humanité, une philosophie qui fait écho à une quête intérieure. C’est à la faveur d’un échange avec un ami artiste qui s’intéresse au monde sonore particulier des hammams lié à la présence de l’eau, qu’il entreprend en 2012, à Istanbul principalement, une exploration de ces espaces et de la pratique sociale – masculine – à laquelle ils sont dédiés. Il poursuivra seul ensuite ces prises de vue jusqu’en 2015.
Au total, il opère dans une vingtaine de hammams turcs, suivant un même protocole technique et une même approche des hommes qui « habitent » ces lieux : il s’impose une distance respectueuse. L’idée est de restituer les éléments d’un rite, à la fois corporel et spirituel, la relation des sujets à l’architecture de l’espace ainsi qu’à son atmosphère, au sens physique du terme : le degré d’humidité impacte la texture de la photographie. Celle-ci condense en quelque sorte toutes ces données, mais sans préoccupation d’ordre documentaire.
D’un point de vue plastique, la cohérence de la série tient à un rendu particulier des formes et des couleurs : grain et flous sont sublimés au tirage par le choix du papier sur lequel sont couchées les images. Le choix du long temps de pose rend les corps presque transparents lorsque ceux-ci se mettent en mouvement. Perçus à travers la vapeur qui les enveloppe, ils expriment une forme d’abandon qui les rend vulnérables, un épanouissement de l’esprit loin des exigences du quotidien. Tout ici n’est que lenteur ; le temps est suspendu.
Gabriel Bauret, 2020
Antoine Passerat : Hammam
25 septembre – 17 octobre 2020
Galerie XII
14 rue des Jardins Saint-Paul – Paris 4e
