Dans sa quatrième exposition personnelle à la Galerie FIFTY ONE, Paradis à Vendre, Bruno V. Roels montre davantage le terrain de jeu qu’il s’est construit. Sa pratique est toujours ancrée dans les possibilités du processus photographique analogique. La nouveauté, cependant, est qu’il laisse surgir ses autres intérêts (langue, art moderne en général, sémiotique…).
A voir dans la galerie cette fois, non seulement des compositions de photographies argentiques, mais aussi des affiches, des cartes postales, des puzzles et même une plaque en émail. Pour Roels, tout pointe vers une seule idée : tout est texte. Le langage nous permet d’utiliser un ensemble limité d’éléments pour construire des mondes en constante évolution et sans fin. Mais si tout est texte, et si son œuvre peut être lue, qu’est-ce que Roels essaie de nous dire ? Dans ses mots : « Le paradis est juste au coin de la rue, mais nous ne l’atteindrons jamais ». Bien sûr, nous sommes occupés à chercher le paradis, mais au final c’est un concept insoutenable. En attendant, cependant, rien ne nous empêche d’essayer de nous rapprocher le plus possible, Roels sera notre guide avec plaisir. Le processus est aussi important que le résultat.
Quelques notes sur l’exposition:
- Le titre de l’exposition est tiré de ‘Paradis À Vendre’, une édition (une affiche) du même nom Roels a réalisé pendant le confinement covid. Il s’agit d’une pièce de théâtre sur une œuvre de Marcel Broodthaers « Musée d’Art Moderne à Vendre – pour cause de faillite » (1970-1971) dans laquelle il a tenté de vendre son musée d’art moderne inventé pour cause de faillite. Roels a fait une réplique de cette affiche mais a déclaré le paradis (ou l’idée du paradis) en faillite. L’affiche est une affaire austère, un message de défaite utilisant une police noire pragmatique.
- L’ affiche rose “Vous cherchez le paradis ?” a été réalisée pendant le confinement covid. Roels envoie ces petites affiches à tous ceux qui le demandent. C’est le genre d’affiche que l’on trouve sur un panneau d’affichage d’étudiant. Imprimé sur du papier rose générique, il demande si le spectateur recherche le paradis et offre en retour un petit palmier. La question est assez informelle, mais elle ouvre un monde d’interprétations en fonction de votre définition du « paradis ».
- Les deux « slogans » semblent être en désaccord. ‘Paradis À Vendre’ semble une proposition économique alors que ‘Looking For Paradise?’ adopte une approche plus métaphysique et personnelle. Pour Roels, cependant, ce sont les mêmes.
- Quel que soit le système dans lequel vous opérez, le paradis est insaisissable et ne peut être vendu que dans un système économique, vous pouvez l’échanger contre de l’argent (vacances, investissements…). Dans un système psychologique/religieux, vous pouvez atteindre le paradis (le paradis) si vous suivez un ensemble de règles strictes. Il n’y a pas d’échappatoire : l’accès au paradis exige une forme de paiement ou d’effort.
- Le puzzle « impossible », l’un des multiples ironiques de Roels, illustre bien ce point. Un puzzle de 1000 pièces presque impossible à assembler. Seuls les très dévoués pourront le terminer, et même alors, ils ont très peu à montrer pour leurs efforts.
- Roels met le même genre d’effort dans l’impression et l’arrangement de ses plus grandes compositions. Faire des centaines de tirages du même négatif peut être interprété comme une contrainte, mais pour Roels, c’est un rituel apaisant. Ici aussi, le processus est aussi important que le résultat.
A propos de l’artiste :
Artiste belge (1976, vit et travaille à Gand) Bruno V. Roels est connu pour son exploration des possibilités du processus photographique analogique. À travers des expériences en chambre noire et en jouant avec les qualités reproductibles du support, Roels crée des œuvres uniques qui consistent souvent en de multiples variations sur le même négatif. Son esthétique hautement reconnaissable se caractérise par la couleur jaunie et café de ses impressions, conférant à son travail un aspect et une sensation vintage. Lors de la création, Roels permet aux accidents de se produire (par exemple, des taches et des plis se sont produits pendant le processus d’impression mais sont laissés visibles) et il édite manuellement la plupart de ses impressions en dessinant dessus. Dernièrement, il expérimente également le placement de textes sur ses images. Ce processus organique aboutit à une œuvre ludique qui transcende le médium photographique au sens strict du terme.
Iconographiquement, Roels reste souvent fidèle au même sujet : le palmier et son histoire en tant qu’icône visuelle. Pour un public occidental, le palmier suscite immédiatement des associations avec les vacances, l’aventure et la richesse. Selon Roels, cette connotation est enracinée dans le colonialisme et l’impérialisme occidentaux – avec lesquels l’imagerie du palmier était largement utilisée pour projeter une aura exotique à l’empire. La manière orientaliste dont notre passé est présenté ici comme beau, mystérieux et aventureux contraste cependant fortement avec la sombre réalité qui se cache derrière. Cette image de rêve d’évasion du palmier vit encore aujourd’hui. Fasciné par cette ambiguïté, Roels explore le spectre iconographique complexe de ce symbole dans son travail. Derrière la façade de ses belles compositions de palmiers se cache ainsi un commentaire sur notre regard sur notre passé (colonial), mais, cependant, toujours de manière ludique.
Bruno V. Roels : Paradis à Vendre
14 septembre – 6 novembre 2021
Gallery Fifty One
Zirkstraat 20
B – 2000 Antwerpen