L’artiste danoise Susanne Wellm s’est entretenue avec Zoé Isle de Beauchaine autour de sa pratique idiosyncrasique de la photographie et de sa première exposition parisienne à la Galerie XII, jusqu’au 13 juillet.
Comment êtes-vous venue à la photographie ?
Pendant mes études en design textile, j’ai été initiée à la photographie et aux techniques de développement en chambre noire pendant un semestre, et cela m’a semblé magique. Je suis devenue fascinée par la photographie, un médium qui m’obsédait depuis l’enfance. Mon père, qui avait déjà un goût prononcé pour ce médium, s’avérait être assez doué. Lorsque nous rentrions de nos voyages, il créait un diaporama projeté pour ses amis et notre famille. Je me souviens encore m’asseoir dans la pièce faiblement éclairée autour de la table basse, regardant à la fois le diaporama et les films défilant, un souvenir encore très vif. Je me rappelle encore du son et de l’odeur du projecteur.
Vous avez exploré de nombreuses facettes du médium : Qu’est-ce qui est important pour vous dans la photographie ?
La photographie, pour moi, est profondément liée à l’évocation de certaines émotions, elle renvoie à des instants flous de la mémoire : des couches qui peuvent être ajoutées ou retirées, tirées du puits le plus profond.
L’aspect le plus important pour moi est de préserver son aspect mystérieux. De maintenir un espace que l’artiste comme le spectateur peuvent explorer sans nécessairement y trouver des réponses concrètes. Je suis fascinée par cette capacité inhérente de l’humain à constamment décoder et trouver du sens et de la cohérence dans ce qu’ils voient. C’est en partie pourquoi j’aime créer des séquences et des juxtapositions, sous forme de livres comme sous forme d’expositions. La plupart du temps, je ne sais pas exactement ce qui motive cela, mais je sais que cela soulève davantage de questions que cela n’apporte de réponses, et c’est à ce moment-là tout l’intérêt. Je me vois comme une conteuse, mais une conteuse qui ouvre à des interprétations ambiguës.
L’artisanat fait aussi partie intégrante de votre approche.
J’ai toujours aimé l’aspect analogique dans tout ce que j’ai entrepris. J’ai travaillé avec la photographie Polaroid analogique, le semi-format avec un Olympus Pen le film Super 8, et bien d’autres. Mais quand la photographie est devenue numérique, j’ai rapidement senti que je perdais quelque chose de fondamentalement important pour moi en tant qu’artiste . L’analogique dans la photographie renvoie à ressentir la résistance du matériau, travailler avec du concret, en apprécier le processus, accepter que les choses prennent du temps, que ce temps a aussi de la valeur comme une matérialité.
Ce sentiment d’inquiétude envers la caméra numérique vous a conduit à développer une nouvelle technique, mélangeant photographie et tissage. Pouvez-vous nous en dire plus ?
La photographie numérique était devenue trop aisée, ou disons qu’elle avait perdu à titre personnel sa magie. J’ai pris un peu de temps et j’ai commencé à expérimenter à nouveau avec la technique argentique. J’ai retrouvé ce qui m’avait initialement conduit à travailler avec la photographie. Mon expérience passée comme designer textile m’ouvrait une nouvelle voie vers des aspects plus orientés vers l’artisanat et le toucher. J’ai commencé par de petites expériences textiles et je suis finalement arrivée à tisser mes impressions. Au début, ces tentatives étaient assez infructueuses, mais je pouvais voir le potentiel, alors j’ai trouvé une méthode qui fonctionnait. Je tisse et enfile mes photographies depuis.
Quand je regarde vos œuvres, elles me font parfois penser à un puzzle. La photographie peut parfois être une quête pour trouver l’image vraie et complète. Ces questions sont-elles présentes dans votre travail ?
Oui, je considère la photographie comme un puzzle composé de pièces pouvant être réarrangées afin de donner, sinon une image complète, du moins des fragments qui suggèrent une image globale. Mon expérience artistique la plus profonde a été de regarder une performance théâtrale de la célèbre Pina Bausch au Tanzteater Wuppertal. C’était la scène d’ouverture, exécutée avec les moyens les plus simples, mais celle-ci a déclenché un océan d’émotions, cela m’a bouleversé. Je me souviens souvent de cette pièce lorsque je travaille. Et je travaille ainsi : je trouve un point d’entrée, comme le »premier cadre » d’un film. À partir de là, le jeu du puzzle commence, et l’histoire se construit autour de cette première pièce.
Pourquoi avez-vous intitulé votre exposition « De l’autre côté » ?
Je ressens fréquemment en moi une humeur particulièrement observatrice, que je nomme « hyper présence ». Lorsque je photographie, je peux choisir de ressentir le sujet ou simplement d’enregistrer ce que je vois. C’est au choix se protéger ou plonger profondément dans un sentiment, dans une entièreté.
Une œuvre centrale de l’exposition à la Galerie XII à Paris est intitulée « Shifting Moods« , et c’est précisément ce à quoi je fais référence ici avec le titre « De l’autre côté ». Le commissaire Gabriel Bauret a écrit dans le livre d’artiste édité pour l’exposition et décrit le subtil sentiment d’anticipation qui surgit au théâtre avant que le rideau ne se lève. Le public est présent, le son des bavardages devient un bourdonnement que les acteurs de l’autre côté du rideau peuvent ressentir, tout le monde semble prêt à découvrir ce qui va se révéler de l’autre côté. Cet état, c’est aussi une célébration des petites choses sur votre chemin, par exemple les reflets d’une flaque d’eau, c’est une invitation à voir le monde qui vous entoure avec des yeux humbles.
Susanne Wellm – De l’autre côté
19 avril – 13 juillet 2024
Galerie XII Paris
14 rue des Jardins Saint-Paul 75004 Paris