Depuis 1986, la modèle Isabelle Mège a été photographiée par plus de 86 photographes, de l’objectif de Jeanloup Sieff à Willy Ronis, en passant par Arno Rafael Minkkinen, Édouard Boubat ou Ralph Gibson. Les regards portés sur son corps et son visage, le jeu entre le photographe et son modèle, font l’objet d’une série en cours. La dernière pierre à l’édifice revient à l’œil et aux mains de Catherine Balet, à l’invitation de la galerie Thierry Bigaignon.
« Je souhaitais faire un portrait d’Isabelle assise dans un fauteuil, un portrait qui soit fragmenté », assure Catherine Balet. « De ce portrait devait se dégager à la fois l’extase et l’angoisse, la vulnérabilité et la force ; que ce personnage soit à la fois mère nourricière aux seins multiples et femme sensuelle abandonnée ». En démultipliant son sujet, en explosant ses facettes, Catherine Balet joue avec les représentations qui ont figé la modèle dans une fonction prédéfinie. L’image ne revêt plus un sens unique ; le collage, la superposition et le dessin isolent des détails, soulignent des aspérités. La photographe force le regardeur à un exercice d’attention, aussi long que le processus créatif de l’artiste : « J’ajoute, je déconstruis, je soustrais, je superpose. J’aime travailler avec le temps ».
La résultat peut dès lors faire figure de pied de nez, sinon de recomposition amusée des regards qui, au fil des années, se sont portés sur le modèle. Cette recomposition souligne que le corps est pluriel, qu’il est un jeu de surfaces, d’aspérités, de positions, d’angles. Une centaine de clichés, autant de photographes, ne suffiront pas à l’épuiser. Tout juste chaque geste aboutira à redéfinir ce que pourrait être Isabelle Mège. Quand d’autres photographes recherchent en Isabelle Mège l’impossible représentation du « féminin », Catherine Balet joue avec l’ambivalence : la féminité perçue comme un tout s’avère impossible à saisir, alors même que sont pointés, isolés, mis en valeur des éléments propres de cette féminité. Le modèle est dissous par le jeu optique. En poussant l’effort de représentation à son paroxysme, l’artiste refuse en quelque sorte le défi posé par le modèle aux photographes la précédant. Éclaté, son corps devient un multiple, un rebus presque impossible à déchiffrer, à admirer, à fantasmer. Avec cette recomposition de Catherine Balet, la série d’Isabelle Mège prend une tournure inédite. Le blanc-seing donné au prochain photographe s’avèrera particulièrement complexe à écrire.
Catherine Balet
Diplômée de l’Ecole nationale des Beaux-Arts de Paris, Catherine Balet a débuté sa carrière artistique comme peintre avant de passer à la photographie au début des années 2000. Son travail photographique prend alors une dimension sociologique. Sa série de portraits d’adolescents « Identity », comme sa série « Strangers in the Light », ancrent son travail dans la réalité contemporaine. De 2013 à 2016, Catherine Balet oeuvre sur sa série « Looking for the Masters in Ricardo’s Golden Shoes » en rendant un vibrant hommage aux maîtres de la photographie. De Nadar aux tendances contemporaines en passant par Man Ray et Martin Parr, Catherine Balet s’est ainsi emparée de l’histoire de la photographie et recherche des pistes de réflexion quant à son devenir. Avec sa série « Moods in a Room », Catherine Balet poursuit sa démarche d’expérimentation en réinvestissant les transformations techniques du médium photographique et s’interroge sur la frontière qui sépare la peinture de la photographie.
Isabelle Mège
C’est à l’âge de vingt ans, lorsqu’elle découvre le travail de Jeanloup Sieff, alors exposé au Musée d’art moderne, qu’Isabelle Mège entrevoit ce qui deviendra un projet artistique hors du commun. Débute alors une aventure de plusieurs années pendant lesquelles elle sélectionne, contacte et courtise professionnellement un grand nombre de photographes, connus ou moins connus, leur proposant de poser pour eux, nue de préférence, en échange de photographies. Certains refusent son offre, d’autres s’y projettent. Jeanloup Sieff le premier, suivi de Willy Ronis, Christian Courrèges, Jan Saudek, Joel Peter Witkin, Arno Rafael Minkkinen, Édouard Boubat, ou encore Ralph Gibson et Henri Foucault.
Avec ce projet peu orthodoxe, le modèle s’impose aux photographes, les choisit et les met au défi de mettre leur créativité au coeur d’un processus dont elle serait elle-même le moteur. Elle devient « LE » sujet féminin par excellence, à la fois unique et multiple. Cette multitude absorbant le personnage en tant que personne et le faisant même disparaître au fil des clichés.
À cette importante collection de photographies représentant à ce jour plus de 140 images, vient désormais s’ajouter l’œuvre de Catherine Balet.
Catherine Balet
Isabelle Mège (dessin)
2020
Tirage pigmentaire sur papier Fine Art Museum et dessin aux crayons de couleur.
Tirage signé, numéroté 1/1 et daté sur le recto
50 x 40 cm (19 3/4 x 15 3/4 in)
Tirage unique en vente sur l’espace Viewing Room de la Galerie Thierry Bigaignon