La galerie berlinoise présente une sélection issue de cette série du photographe canadien réalisée sur le continent africain. Des vues aériennes d’une puissance picturale époustouflante qui témoignent des effets de l’expansion industrielle sur les paysages africains tout en célébrant ceux encore préservés de l’exploitation humaine.
Comment mesurer l’impact de l’activité humaine sur notre planète, autrement que par des données ? Comment représenter les dégâts de l’activité industrielle, autrement que par des images de dévastation ? Comment évoquer l’Afrique aujourd’hui autrement que par la misère ?
Durant sept ans, de 2015 à 2020, Edward Burtynsky explore dix pays africains par les airs – le point de vue aérien étant selon lui l’échelle la plus puissante pour révéler l’immensité de son sujet.
« Voir le paysage à partir de perspectives élevées révèle la conception, la structure et l’échelle des marques que nous inscrivons sur la surface de la Terre, des panoramas extraordinaires non visibles au niveau du sol. » confie t-il.
Suspendu à un hélicoptère, à un petit avion ou à l’aide d’un drône, il explore des sites naturels exploités par les humains et d’autres encore intacts. Une quête qui le mène à capturer des phénomènes naturels en Tanzanie, en Namibie ou encore au Botswana. Face à ces natures sauvages étourdissantes, le photographe présente des vues à vol d’oiseaux de paysages agricoles, industriels et urbains. Ici, à la galerie Springer, nous sommes confrontés à nos propres émotions contradictoires, à admirer l’exploitation du soufre dans le désert du Danakil en Éthiopie, celle du sel au Sénégal ou encore celles du fer et du diamant en Afrique du Sud.
La beauté d’un monde fragile
Les mariages de tons, de reliefs et de courbes confèrent à ces paysages naturels et artificiels d’incroyables allures d’œuvres d’art. Les nuances de vert des marais salants près de Tikat Benguel au Sénégal (2019) et la chorégraphie de leurs formes rectangulaires font instantanément écho au Baiser de Gustav Klimt; les strates des montagnes de Tsaus en Namibie (2018) rappellent les découpes de feuilles d’Henri Matisse; ou encore, les mines de minerais de fer capturées à Kathu en Afrique du Sud (2018) répondent au trait abstrait iconique d’un Jackson Pollock.
« Je suis attiré et excité par l’acte de créer de grandes images très détaillées et expressives, tout en essayant de rester conscient de garder deux portes ouvertes par lesquelles le spectateur peut entrer dans l’œuvre : la forme et le contenu. »
Derrière l’émerveillement que suscitent ces différents phénomènes, ces photographies documentent surtout un continent à la veille du point de non-retour.
La Chine hier, l’Afrique aujourd’hui
Durant les années 2000, Edward Burtynsky suit le développement d’usines en Chine et la dégradation univoque de l’environnement causée par cette expansion industrielle à toute allure. Des lieux aux airs de fourmilières aux odeurs d’exploitation humaine et de désastre écologique – des images dans lesquelles il est par ailleurs passionnant de se replonger.
L’artiste confie qu’à l’époque déjà, il pressent de l’Afrique qu’elle serait la prochaine grande manufacture de notre planète. Car vivre à 8 milliards sur Terre à l’ère de la mondialisation demande une infinité de ressources. Et si de nombreux pays avaient déjà été surexploités, certains pays africains n’en n’étaient alors qu’à l’aube.
Deux décennies plus tard, la Chine s’est emparée de l’Afrique, tirant avantage d’un faible coût de main-d’œuvre, de régulations environnementales laxistes et de taxes économiques quasi-inexistantes. Le continent africain cristallise l’unique chance du géant chinois de se défaire de sa casquette d’usine du monde pour réaliser son aspiration à devenir un grand pays de services. Dans la monographie African Studies éditée par Steidl, ce glissement sémantique est interpellant : les photographies des ouvriers chinois d’hier résonnent effroyablement avec les clichés des usines asiatiques désormais implantées au Sénégal ou en Éthiopie.
Un plaidoyer pour la nature
À l’heure de la crise climatique, le langage visuel de Burtynsky aborde le sujet différemment. Bien loin de scènes de ravage, le photographe canadien consacre l’esthétique puissante de ses œuvres à la célébration de notre environnement. Mais là où ces scènes stimulent notre esprit, elles doivent également interroger.
Cette composition formée des couleurs chaudes de la terre et des traces laissées par des camions sur le sable dans cette image de l’extraction de l’or en Afrique du Sud questionne plus largement les effets dramatiques de l’exploitation des ressources précieuses à la satisfaction des modes de vie outranciers de nos sociétés capitalistes.
Derrière la danse incroyable de teintes des marais salants près de Fatick au Sénégal – plus grand producteur de sel en Afrique, réside un grand drame écologique pour la région car la sur-salinité entraîne une accélération du dérèglement climatique dont les populations locales sont les premières victimes.
Pour la photographie somptueuse des dunes de Sossusvlei en Namibie, Burtynsky s’est rendu en hélicoptère dans cette zone excentrée afin de capturer ce moment précis du lever du soleil où sa position infuse cette ambiance particulièrement dramatique. Cette zone protégée illustre la fragilité de celui que l’on nomme le nouvel or, exploité à outrance sur tout le continent, entre autres par le secteur de la construction, et affectant notre écosystème naturel.
Burtynsky renverse l’idée qu’un choc serait nécessaire pour faire prendre conscience du drame qui s’annonce. Face à l’urgence, il nous souffle : “regardez ce que nous avons, regardez ce que nous en faisons.”
Noémie de Bellaigue
African Studies d’Edward Burtynsky à la Galerie Springer jusqu’au 2 mars 2024.
La galerie Saatchi à Londres présente du 14 février au 6 mai 2024 la plus grande exposition consacrée au travail d’Edward Burtynsky.
Galerie Springer
Fasanenstraße 13
10623 Berlin
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