La peinture, servante idéale de la photographie, pour détourner les mots de Charles Beaudelaire, résume ce dont il est question chez les trois artistes : Bertrand Delais, Stéphane Belzère et Virginie Isbell, réunis pour l’exposition “Lisières”. Aucun d’eux ne se considèrent comme photographe, mais tous utilisent la technique du médium, pour creuser les profondeurs de la matière photographique et offrir de nouvelles représentations du réel, plus picturales. Cernes, délinéations, teintes fondues et transparences produisent dans chacune des œuvres un effet de peinture aquarelle. La fascination commune de ces artistes pour la nature et la lumière plonge le spectateur dans une contemplation rêveuse, et calme les images. Car ainsi tramées, découpées, noyées, paysages, fleurs et scènes bucoliques font silence.
Bertrand Delais retrouve dans la fibre d’un papier japonais, l’estompe d’un arbre au centre d’un paysage, la caresse des pétales d’une rose, le bleu d’une colline à la lumière tombante. La nature est son sujet principal, aucun humain ne cohabite dans ces espaces sans frontière où la couleur et la matière se diluent. Il procède à des coupes franches, des jeux de reflets dans un miroir, pousse la sensibilité de la pellicule jusqu’à en perdre le grain. Toutes ces expérimentations le rapprochent d’un style pictural léger qui flirte parfois avec l’abstraction. La texture du tirage photo donne l’illusion que de la peinture aquarelle s’y est égarée. Pourtant, tout est photographique, chez cet ancien réalisateur de films documentaires qui a pris son temps pour se balader devant les natures mortes du musée d’Orsay, ou observer les images de Saul Leiter, comme de Sarah Moon.
Chez le peintre Stéphane Belzère se joue une autre partition. Après avoir abandonné la peinture sur le motif, il choisit l’image photographique comme modèle. Il s’est toqué, un jour, de ces petits morceaux de films réversibles insérés dans un cache en plastique ou en carton que l’on nomme diapositive. Depuis, il en collectionne des milliers et réalise grâce à elles ce qu’il nomme la série Diaquarelles. La transparence, la composition, la couleur, la typographie et d’éventuelles annotations sur le cache intéressent plus l’artiste que le sujet réel du cliché. La scène représentée sur la minuscule diapositive réinterprétée à l’aquarelle, dans une taille multipliée par huit, établit une distance qui mobilise l’attention. En procédant à cette sorte d’usure de l’image : re-garder, re-produire, re-copier, re-peindre, la fameuse question d’une possible objectivité de l’image, se pose à nouveau… En illustrant l’un des développements qui s’opère dans les arts picturaux.
Virginie Isbell révèle l’épaisseur de ses propres fictions. Grâce à l’impression d’une image monotype tirée sur organza, placée à quelques millimètres d’écart devant un second visuel. Le fantôme : un visage ou un nu, imprimé sur le voile se détache et se confond avec la peinture ou la photo placée derrière. Ailleurs, elle zoome sur un feuillage, des fleurs, un tapis de feuilles sèches qu’elle réincarne avec la technique du cyanotype. Ces insolations ne laissent survivre sur le papier que traces et étranges incarnations de la nature. Tel un souvenir aimanté par le papier, Virginie Isbell offre au spectateur la surprise de voir une chose que l’œil nu ne peut voir et que seule la chimie du photogramme et du cyanotype peut révéler. Devant ces natures mortes, plus de détail dans la matière, plus d’indice pour l’œil.
Frédérique Chapuis, Critique d’art
Lisières
Stéphane Belzère, Bertrand Delais, Virginie Isbell
Exposition du 21 avril au 27 mai 2023
Vernissage le jeudi 20 avril 2023 de 18h à 21h
Galerie Sit Down
4 Rue Sainte-Anastase
75003 Paris, France
https://sitdown.fr/