Galerie Michael Lonsdale présente l’expositon de Nathalie Perakis-Valat intitulée Rêveries Bocaliques. Jean Loh écrit ce texte.
Les Fleurs du Zen (Une réflexion sur le projet photographique de Nathalie Perakis-Valat)
Ce titre s’inspire des Fleurs du mal de Baudelaire. Citations des premiers vers du poème « Le Flacon » :
Il est de forts parfums pour qui toute matière
Est poreuse. On dirait qu’ils pénètrent le verre.
En ouvrant un coffret venu de l’Orient
Dont la serrure grince et rechigne en criant,
Ou dans une maison déserte quelque armoire
Pleine de l’âcre odeur des temps, poudreuse et noire,
Parfois on trouve un vieux flacon qui se souvient,
D’où jaillit toute vive une âme qui revient
(20 avril 1857)
Il y a deux choses qui frappent de prime abord dans Les Fleurs de Nathalie, d’abord ce sont des visions renversées du monde, elles semblent nous inviter à regarder les dessous des fleurs, et non comme d’habitude quand nous regardons les fleurs « de haut », avec condescendance. Si nous les regardons en contre-plongée, il y a comme une élévation, comme si c’étaient des fleurs sacrées. En second lieu, elles ne sont pas seules en tant que fleurs, per se, elles sont fleurs parce qu’il y a la présence du pot, les fleurs deviennent des « reliques ». Le pot devient encensoir, de là peuvent s’élever ces « forts parfums » dont parle Baudelaire, l’âme vive qui en jaillit c’est le parfum des fleurs.
Et quand il y a pot, il y a flacon, jar, vase, et tous ces conteneurs qui transportent l’eau pour maintenir les fleurs en vie éphémère. Le pot n’existe que parce qu’il sert à porter les fleurs. Et quand il y a « pot » en verre, il y a la porosité, la transparence, le vide, c’est-à -dire la vacuité. Les pots de Nathalie servent de punctum dans la photographie des fleurs, ils ont pour fonction de tracer le cercle, autour des fleurs, au centre des fleurs, à la base des fleurs, ils encadrent les fleurs, magnifient les fleurs, transcendent les fleurs. Et les fleurs de Nathalie à leur tour pénètrent le verre, pénètrent le pot, traversent le pot, transpercent le pot, et nous regardent quand nous les regardons, comme l’œil de Redon. Comme l’œil de Redon qui peut être ouvert ou fermé, ces fleurs en pot peuvent être vivantes ou mortes. Robert Mapplethorpe n’a-t-il pas photographié des fleurs à l’esthétique parfaite, en train de faner, en train de mourir ? Si le maître de la photographie érotique Nobuyoshi Araki dans ses créations contemporaines appelle sa série de fleurs érotique des « Vaginal Flowers », et va jusqu’à « éjaculer » de la peinture sur ses photographies agrandies, il ne fait que poursuivre la voie tracée par l’œuvre unique et sans précédent du grand écrivain kamikaze Yukio Mishima qui en collaboration avec le photographe génial Eikoh Hosoe, avait créé cette œuvre « Barakei ou le Supplice des Roses » en 1962-64. Mishima qui poursuivait le beau jusqu’à la mort – sa propre mort par sepuku. Ces références aident à comprendre la portée des photographies apparemment « pretty and nice » de Nathalie (attention : il y a tout de même des chardons là-dedans !)
Pour rester dans les japonaiseries, les compositions florales de Nathalie s’assimilent pratiquement à des Ikebanas élaborées qui ne racontent qu’une chose :
» À l’aurore je suis née
Baptisée de rosée
Je me suis épanouie
Heureuse et amoureuse
Aux rayons du soleil
Me suis fermée la nuit
Me suis réveillée vieille
On est bien peu de chose
Mon amie la rose me l’a dit hier matin »
Comme le chantait Françoise Hardy.
Il s’agit en même temps d’un exercice de « nature morte », dans la classification traditionnelle des catégories de photographie. Dans nature morte il y a le mot « morte », ce que les anglais appellent « still life », vie figée, vie immobile, vie muette. Cela remonte très tôt dès l’invention de la photographie dans les années 1906-1908, le Baron Adolphe de Meyer fut le premier à photographier des fleurs en pot, sur une coupelle, dans un vase de cristal, et dans une cruche en terre cuite. Ici, Nathalie associe aussi les fleurs avec le pot, mais ce qui distingue ce travail des autres formes de Nature Morte, c’est la transparence de ce pot qui magnifie les fleurs, tout en laissant dessiner un cercle tracé par les contours du pot, on retrouve ici le cercle iconique des maîtres du zen ! Les pratiquants du Zazen souvent s’entrainent jour après jour à tracer en un tour de main, au pinceau trempé d’encre de Chine, un cercle qui nous enseigne sur l’impermanence des choses, le yin et le yang du taiji, les saisons de la vie…
Par la même occasion, ce cercle représente un autoportrait, notre état d’âme à l’instant T. Parfois le pot ou le flacon forme un carré, on est alors devant un Mandala, le cercle magique cher à Carl G. Jung qui avait pris l’habitude de dessiner son mandala quotidien pour s’autoanalyser, les mandalas de Nathalie ont comme centres les fleurs qui épousent la forme de kaléidoscopes qui parfois s’illuminent en mille éclats coruscants !
Ainsi chaque ikebana de Nathalie formé de « pot » (cercle, vacuité) plus « fleurs » (vie, phénomène) représente le fondement du Zen, « le vide est la forme, la forme est le vide ». Un moine Sanyasin du nom de Bodhidharma quitte l’Inde et arrive en Chine en 527, il s’arrête dans une grotte montagneuse à côté du temple Shaolin, il s’assoit face au mur et se met à méditer en silence, pendant Neuf Ans (!) à sa sortie les moines bouddhistes du temple lui demandent de leur enseigner la méditation, il leur explique qu’en sanskrit cela s’appelle DHYANA, les moines l’ont transcrit phonétiquement en CHAN. Avec un peu de distorsion (lost in translation) arrivé au Japon le CHAN des Chinois est devenu le ZEN des Japonais.
Fondamentalement, tout est là dans les fleurs de Nathalie, ce sont les Fleurs du Zen. Elles nous invitent à une méditation visuelle, sur la composition des formes, sur les couleurs, sur le sens des lignes et des courbes, sur le sens du plein et du vide, de la présence et de l’absence, sur le pourquoi des pots et le pourquoi des fleurs, le sens du végétal et du minéral, sur l’attirance de l’éros et du thanatos, sur l’être et le néant.
Jean Loh
Nathalie Perakis-Valat : Rêveries Bocaliques
22 mai 2024 – 1 juin 202
Galerie Michael Lonsdale
30 rue de Bourgogne
75007 Paris
https://galerie.michael-lonsdale.fr/